Après la guerre, il fallut gagner la paix. À découvrir, les petites histoires et les grands enjeux du traité de Versailles par l’historien militaire Patrick de Gmeline.Les ouvrages sur l’armistice et le traité de Versailles ne manquent pas. Ils analysent les causes et les effets diplomatiques, économiques, militaires, sociaux ou culturels de la paix avec une grande maîtrise. Mais tous ou presque demeurent des livres de considérations générales, et peu entraînent le lecteur jusque dans le cœur de la vie des hommes de ce temps. De même, peu d’entre eux, par cette petite porte de la vie des hommes, ouvrent les horizons aux vastes demeures de l’histoire totale. C’est ce défi que parvint à réaliser Patrick de Gmeline, dans son Versailles, 1919, Chronique d’une fausse paix, publié en 2001 aux Presses de la Cité et toujours réédité.
Petite et grande histoire
Patrick de Gmeline est ce que la corporation appelle, avec une légère hauteur, « un historien du dimanche ». Mais depuis Philippe Ariès, qui releva le gant et en fit le titre d’un de ses livres, et jusqu’à Jean-Christian Petitfils, nous savons bien quel apport fort utile aux études historiques ces auteurs peuvent apporter : déblayant des sentiers d’archives mal explorés par les spécialistes, ils rendent accessibles au grand public les études érudites difficiles d’accès.
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L’auteur de ce très bon livre sur le traité de Versailles suit les deux voies : il conjugue la haute science historique et ses archives avec le chemin de la « petite histoire », érigée en art depuis l’historien G. Lenôtre et que les universitaires se réapproprient désormais en la parant du titre plus respectable, car plus jargonneux, de « micro-histoire ».
L’atmosphère des négociations
Ainsi, c’est par les dialogues et les descriptions de scènes privées, rapportées par les mémorialistes de cette époque, que nous pénétrons l’univers de la rédaction du traité. Les échanges parfois houleux entre les diplomates, ou entre les chefs d’État, notamment les quatre grands, Clemenceau, Wilson, Lloyd Georges et Orlando nous éclairent sur l’atmosphère, l’état d’esprit des négociations.
Cependant, la petite histoire n’est qu’un outil. Elle rend la réflexion agréable et c’est au-delà que Patrick de Gmeline nous conduit. Maniant au rythme du calendrier, jour après jour, l’enchaînement des événements, il nous mène des lignes du front Ouest aux grèves ouvrières du Paris de la fin de l’hiver 1918-1919. D’elles, nous passons à la guerre civile qui fait rage en Allemagne, avant de retrouver le maréchal Foch aux prises avec son chef de gouvernement, le président du Conseil Georges Clemenceau.
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La Russie n’est pas loin, ni l’Italie, et passant du grave au léger, nous quittons l’amiral Koltchak et ses cosaques pour retrouver le mariage de Sacha Guitry dans les salons de la mairie du XVIe arrondissement. L’air de rien, c’est l’enchaînement de l’esprit de toute une époque qui se déploie sous nos yeux, et nous y percevons alors nettement l’entremêlement du politique, de l’économique, du social et du culturel.
Tout se déploie et tout s’éclaire
La lecture attentive de l’histoire de ces mois séparant le 11 novembre 1918 du 28 juin 1919 permet de comprendre ce que fut la peur de la contagion communiste, quand on découvre le récit des émeutes en plein Paris et le refus de la troupe, à plusieurs reprises, d’ouvrir le feu. Alors ce sont les angoisses occidentales de l’entre-deux guerres qui s’éclairent, avec cette peur de la contagion bolchevique. L’angélisme messianique de Wilson se heurtant au pragmatisme implacable de Foch, équilibré par la roublardise politique de Clemenceau laisse aussi entrevoir d’autres débats entre alliés, ceux de la Seconde Guerre mondiale. Tout se déploie et tout s’éclaire, et notamment la rancœur des Allemands, persuadés d’être invaincus, contraints de courber la tête, aux prises avec une guerre civile dont on oublie souvent qu’elle faillit bien dissoudre l’Allemagne, et cherchant à finasser, déjà entre novembre 1918 et juin 1919, avant de pouvoir prendre leur revanche sur les nations ennemies, et au premier chef la France.
Tout prend sens en un peu plus de 400 pages menées au pas de charge, où les couleurs et les sons, la chaleur des voix et l’épaisseur des atmosphères sont toujours parfaitement rendus.