Au pied de la lettre
Prendre quelque chose "à la lettre" ou "au pied de la lettre" : avouons-le, voilà l’une de ces expressions bien typiques de la langue française qui, prises au premier degré, semblent plutôt absurdes. De quelle lettre s’agit-il là ? Pour le découvrir, il faut remonter à l’origine de l’expression employée par saint Paul Apôtre dans sa deuxième Lettre aux Corinthiens :
"Lui nous a rendus capables d’être les ministres d’une Alliance nouvelle, fondée non pas sur la lettre mais dans l’Esprit ; car la lettre tue, mais l’Esprit donne la vie. (2 Co 3, 6)"
Saint Paul oppose ici l’interprétation littérale des mots à leur dépassement pour en découvrir le sens spirituel et le véritable message qu’ils contiennent. Tout au long des Évangiles, ce point est l’objet de multiples confrontations entre Jésus et les pharisiens. Ces derniers, très attachés à l’observance stricte de la loi de Moïse qu’ils connaissent par cœur, voient en Jésus un agitateur qui les provoque et menace leur autorité et donc leur pouvoir. De là, ils n’ont de cesse de le piéger. Est-il permis, oui ou non, de payer l’impôt à César, l’empereur ? Est-il permis de faire une guérison le jour du sabbat ? Est-il permis à un homme de renvoyer sa femme pour n’importe quel motif ? Faut-il lapider la femme adultère ? Etc.
Mais à chaque question piège, à chaque lecture stricte de la loi par les pharisiens, Jésus répond par l’Amour de Dieu et du prochain (Mt 22, 36-40) :
"“Maître, dans la Loi, quel est le grand commandement ?“
Jésus lui répondit : “Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit.
Voilà le grand, le premier commandement.
Et le second lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même.
De ces deux commandements dépend toute la Loi, ainsi que les Prophètes.“"
Les paroles de Jésus, prises "à la lettre", sont aussi énigmatiques pour ses propres disciples. "Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi, je demeure en lui" enseigne Jésus (Jn 6, 56). Des paroles bien étranges si l’on se limite au premier degré, qualifiées de "rudes" par beaucoup de disciples qui, ne comprenant pas leur véritable signification, se mettent à douter et cessent de l’accompagner. "Qu’on fait tort au sauveur quand on mesure Ses paroles au sens humain" constate Bossuet dans ses Méditations sur l’Évangile !
"L’Écriture a besoin de l’interprétation"
Le catéchisme de l'Église catholique nous enseigne que "la foi chrétienne n’est pas une religion du Livre, mais la religion de la Parole de Dieu, non d’un verbe écrit et muet, mais du verbe incarné et vivant. Pour qu’elles ne restent pas lettre morte, il faut que le Christ, Parole éternelle du Dieu vivant, par l’Esprit Saint nous “ouvre l’esprit à l’intelligence des Écritures“ (Lc 24,25)." Et Benoît XVI rappelait dans un discours au Collège des Bernardins (septembre 2008) que "l’Écriture a besoin de l’interprétation […] la Parole de Dieu n’est jamais présente dans la seule littéralité du texte. Pour l’atteindre, il faut un dépassement et un processus de compréhension…"
Dans la suite de sa lettre, saint Paul exprime ce que signifie le dépassement de la Lettre et sa compréhension dans son ensemble, cet "Esprit" qui "donne la vie : Le Seigneur, c’est l’Esprit, et là où l’Esprit du Seigneur est présent, là est la liberté" (2 Co 3, 17). Cet esprit libérateur ne laisse pas la Parole de Dieu se réduire à l’idée ou à la vision personnelle de celui qui interprète, il nous montre le chemin et, continue Benoît XVI, "avec cette parole sur l’Esprit et sur la liberté, un vaste horizon s’ouvre, mais en même temps, une limite claire est mise à l’arbitraire et à la subjectivité, limite qui oblige fortement l’individu tout comme la communauté et noue un lien supérieur à celui de la lettre du texte : le lien de l’intelligence et de l’Amour."