La dignité de l’homme est à la fois le fondement et le cœur de la pensée sociale chrétienne. En entreprise, elle est sous-tendue par l’organisation, les orientations choisies ou encore les valeurs défendues. Mais elle est rarement explicite. Et si l’entreprise lui redonnait sa pleine place ?Alors que la notion de souffrance au travail fait la une des médias, celle de la dignité, qui peut être considérée comme son opposée, est très – trop – peu évoquée. Mais de quoi parle-t-on ? « L’humanité elle-même est une dignité; car l’homme ne peut être utilisé par aucun homme (ni par d’autres, ni même par lui) simplement comme moyen, mais il faut toujours qu’il le soit en même temps comme une fin, et c’est en cela précisément que consiste sa dignité (la personnalité) », a écrit le philosophe allemand Emmanuel Kant dans son livre Métaphysique des mœurs. La dignité de l’homme tient donc dans la conception qu’on a de lui comme une fin et non un moyen.
Pour Nicolas Masson, associé-fondateur du cabinet Pragma et membre du mouvement des Entrepreneurs et Dirigeants Chrétiens (EDC), parce que la dignité de l’homme est au cœur du message du Christ, elle doit se retrouver au cœur de l’entreprise.
Aleteia : Sortir un livret de réflexion intitulé « La dignité de l’homme au cœur de l’entreprise » n’est-ce pas un parti trop ambitieux ?
Nicolas Masson : Au contraire ! Cela permet de revenir au fondement de la pensée sociale chrétienne. Reconnaître la « dignité incomparable et inaliénable » de toute personne humaine « sans aucune exception » et cela « des premiers aux derniers instants de leur vie » en est pour moi le premier principe et c’est de lui que le reste découle. Ce livret est par ailleurs très accessible et a pour vocation d’alimenter la réflexion des chefs d’entreprise, managers et plus largement tous les salariés qui s’interrogent. Il s’articule en quatre grande partie : la place de la dignité dans la pensée sociale chrétienne, comment la Bible la définit, sa place en pratique dans l’entreprise et enfin les menaces qui pèsent sur elle aujourd’hui. Ce livret n’a pas pour vocation de donner des outils clef en main mais de questionner et de nourrir la réflexion de chacun. Comment mettre des mots sur une réalité si on ne les connait pas ou si on n’y a jamais pensé ? J’irai même plus loin : comment agir et changer une réalité si on n’a jamais réfléchi à son origine ou aux conséquences qu’elle a pour ceux qui la vivent ?
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Comment mesurer la place de la dignité dans notre entreprise ?
Un des marqueurs les plus forts est le respect du principe de subsidiarité en entreprise (privilégier le niveau inférieur d’un pouvoir de décision aussi longtemps que le niveau supérieur ne peut pas agir de manière plus efficace, ndlr). Si j’organise mon entreprise autour des personnes, en partant des personnes, cela signifie que je privilégie la personne et que je reconnais la qualité du travail. La conception du travail, la manière dont il est imaginé dans l’entreprise, est aussi un marqueur important. Le salarié doit en percevoir l’utilité. Si je le respecte, je dois accepter que chaque personne soit en capacité de créer, de concevoir et de contribuer au bien commun de l’entreprise, du monde. La manière dont la fragilité est prise en charge dans l’entreprise est également une manière de mesurer la place de la dignité. Je ne le mentionne qu’ici mais plus globalement la dignité de l’homme dans la vie économique commence par le fait qu’il puisse, par son travail, gagner sa vie et celle de sa famille, s’épanouir et se rendre utile à la société.
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La dignité intéresse-t-elle les entreprises ?
Je dirais oui et non. Oui, il y a une attention portée au salarié. Mais c’est différent de la dignité d’une personne. Quand on parle de souffrance au travail, de conditions de travail de valeurs d’entreprise ou encore d’entreprise libérée c’est la même chose. On s’en approche mais c’est incomplet.
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Quels conseils donneriez-vous à un chef d’entreprise qui souhaite y accorder plus d’importance ?
Au lieu de se poser la question de la politique RH, du bien-être en entreprise ou des valeurs portées par l’organisation, le chef d’entreprise doit aller plus directement au fond des choses et se poser une question plus radicale : « Pour moi, qu’est-ce que l’homme ? Qui sont ces personnes qui travaillent avec moi ? » Cette question anthropologique n’est pas nouvelle mais elle permet d’aller à la racine du sujet. En y répondant on ne gravite plus autour de la personne, on est au cœur de la personne. En définissant sa vision de l’homme, le chef d’entreprise pourra ensuite s’interroger sur sa justesse, si elle est partagée et si elle porteuse de fruits.