Dissimulé dans le clocher d’une église ou d’un beffroi, le carillon reste un instrument de musique méconnu du grand public. Et si les Journées du patrimoine étaient l’occasion de le (re)découvrir ? Mathilde Bargibant, jeune carillonneuse de 34 ans et médaillée d’or, sera présente le 15 et 16 septembre à la basilique de Blois pour un concert et une visite inédite du carillon. En attendant que nous puissions la découvrir en action, elle partage avec Aleteia sa passion pour cet instrument. Aleteia : Comment êtes-vous devenue carillonneuse ?
Mathilde Bargibant : J’ai découvert le carillon quand j’étais petite, dans ma ville natale de Saint-Amand-les-Eaux. Tous les midis, un carillonneur faisait un petit concert et quelques ritournelles. Cet instrument m’a tout de suite attirée, je me suis donc inscrite à l’école du musique. Mais ce n’est pas mon métier à proprement parler. Je travaille dans l’informatique et à côté de cela, je suis titulaire du carillon de l’église Sainte-Odile à Paris (XVIIe). Je suis également amenée à jouer sur différents carillons, en France ou à l’étranger, pour des concert ou des évènements spéciaux, comme ce week-end lors des Journées du patrimoine.
On trouve des carillons dans les clochers d’églises mais aussi dans des beffrois. Quelles en sont les véritables origines ?
Le carillon est un instrument populaire par excellence. Dès le Moyen Âge, la cloche rythme la vie de la cité, c’est elle qui indique les heures et donne l’alerte. On cherche donc à la mettre le plus haut possible, que ce soit au sommet d’un édifice religieux ou bien dans un beffroi. Au début les villes avaient seulement quelques cloches, deux ou trois, puis le nombre a augmenté. Chaque ville voulait montrer sa supériorité et sa richesse par rapport à ses voisines. Au fur et à mesure, on s’est rendu compte que toutes ces cloches, grâce à leurs différentes sonorités, pouvaient faire un instrument à part entière. Au XVIe siècle, on commence alors à les relier à des claviers manuels et à composer des morceaux de musique. Les carillons sont à la fois associés à la vie religieuse — on peut jouer des morceaux pour accompagner des célébrations liturgiques — mais on peut également les faire jouer dans un contexte laïc.
On rencontre davantage de carillons dans le nord de la France. Est-ce qu’ils sont souvent utilisés ?
Cela dépend des traditions de chaque ville et s’il existe encore des carillonneurs pour les faire sonner. Il y a malheureusement beaucoup d’instruments muets. Parfois ils sortent de leur silence, comme à Blois qui possède un très beau carillon de 48 cloches inauguré en 1938. Depuis sa construction, il y a eu deux carillonneurs titulaires qui ont beaucoup œuvré pour l’instrument mais en 2014 il a été un peu abandonné. Les concerts organisés lors des Journées du patrimoine sont une belle occasion de faire renaître les carillons. À Blois, c’est très agréable car la ville offre une belle configuration : il y a un parc à côté, la Loire en face… On n’est pas dérangé par les bruits de la ville. Les conditions d’écoute sont vraiment idéales.
Les nouvelles générations sont-elles sensibles à l’art du carillon ? L’enseigne-t-on encore ?
En France, des structures de formation ont été créées dans les années 1970 notamment l’École française de carillon à Douai. Mais au début des années 2000, cette école a été absorbée par le conservatoire de la ville pour ne former qu’une classe spécifique. Dans le sud, à Perpignan, il y a également une classe de carillon rattachée au conservatoire. Au-delà des conservatoires, c’est surtout à l’initiative des carillonneurs locaux que l’art du carillon se transmet. C’est en faisant vivre les instruments qu’on donnera envie aux générations futures d’en jouer également.
Quels styles de musique peut-on jouer sur un carillon ?
Il y a des possibilités infinies ! On peut jouer des morceaux écrits spécialement pour l’instrument, mais on peut également jouer des morceaux classiques. La musique baroque se marie très bien avec le carillon. On peut aisément faire des transcriptions de grandes œuvres de Bach ou de Mozart selon la spécificité de leur instrument. Il faut simplement tenir compte du nombre de cloches, du chromatisme, de la tessiture… On peut également jouer de la variété ou du jazz. Personnellement, j’aime jouer des pièces virtuoses écrites exclusivement pour le carillon mais cela ne parle pas toujours au grand public et je ne veux pas réduire l’instrument aux spécialistes. Alors j’aime bien jouer aussi de la variété car cela touche directement les gens. L’intérêt est d’attirer le public, et quoi de mieux que de jouer Michel Fugain, Charles Aznavour ou Édith Piaf ? C’est touchant de voir le public, à la fin d’un concert, venir me dire “j’ai reconnu tel morceau”.
Quel regard portez-vous sur la mise en valeur des carillons en France ?
En France, nous avons de très beaux instruments comme celui de Chambéry, qui est le plus grand, avec 77 cloches. Mais il y a un vrai manque d’entretiens et de restaurations, à la fois des carillons mais aussi des tours, parfois difficilement accessibles. Il y a eu un regain d’intérêt en 2008 pour les carillons à l’occasion de la sortie du film Bienvenue chez les Ch’tis mais cela n’a pas perduré. Les Journées du patrimoine sont vraiment l’occasion de les mettre en lumière. Des initiatives originales ont déjà été organisées comme des duos entre carillon et orchestre. Certaines villes ont particulièrement bien en mis en valeur leur carillon, comme la ville de Rouen en 2016, qui a entièrement restauré son instrument qui était muet depuis les années 1990. Aujourd’hui, il a été déplacé, rénové, augmenté et le public peut désormais accéder facilement à la tour pour voir le carillonneur jouer ses partitions.
Vous allez jouer sur le carillon de Blois pour les Journées du patrimoine. Qu’espérez-vous transmettre aux visiteurs ?
Le côté magique du carillon c’est qu’il peut toucher tout le monde, petits ou grands. On a tous été bercé une fois dans sa vie par le son des cloches. Les gens sont ravis d’entendre ces petits tintements, ça met de la joie et de la vie dans la ville. Par contre, ils ignorent souvent qu’il y a une vraie personne qui se cache derrière car beaucoup de cloches fonctionnent automatiquement aujourd’hui. L’idéal est de réaliser des concerts et faire monter les gens en haut de la tour, quand cela est possible, pour faire une visite guidée. La curiosité et l’émerveillement sont toujours au rendez-vous.
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