Mener de front travail et grossesse n’est pas chose aisée. Les tensions liées à la vie professionnelle, le rythme effréné, le culte de la performance, ne font pas bon ménage avec le tout-petit dans le ventre de sa mère. Au-delà d’un enjeu de santé publique visant à donner toutes ses chances au bébé, il s’agit de faire prendre conscience aux entreprises de leur responsabilité et de leur intérêt à prendre soin de la femme enceinte.Annoncer sa grossesse à sa hiérarchie, rester performante coûte que coûte, assurer le même rythme de travail de 0 à 7 mois de grossesse, sont autant de défis à relever par les femmes enceintes dans le monde du travail. Des défis qui s’avèrent parfois irréalistes, et qui provoquent des arrêts de travail anticipés, voire la mise en danger de la mère et de l’enfant. C’est pour anticiper ces problématiques et y apporter des solutions que le cabinet de conseil Les Prodigieuses, fondé par Marine de Poncins en 2016, a vu le jour. Entretien.
Aleteia : Comment est né votre projet, qui consiste à la fois à accompagner les femmes enceintes dans leur vie professionnelle, et à sensibiliser les entreprises à changer de regard sur la maternité ?
Marine de Poncins : À l’origine de la création des Prodigieuses, il y a mon histoire personnelle, et des chiffres, sans appel, qui m’ont poussée à proposer aux entreprises des solutions pour accueillir, accompagner et fidéliser les femmes enceintes. Ma mère biologique est morte en couches au Népal, peut-être est-ce une des raisons pour laquelle j’ai toujours été sensible à l’inestimable valeur de la maternité. À ma sortie de l’ESSEC, diplôme en poche, j’ai été rayée d’un « graduate program » par une grande entreprise française, lorsque j’ai annoncé que j’étais enceinte de trois mois. Suite à cette immense déception, j’ai commencé à interroger les femmes autour de moi pour savoir comment elles conciliaient maternité et vie professionnelle. Les réactions, mitigées, de ces femmes ont été confirmées par une étude publiée en juin 2015 par la Fondation PremUp, réseau de recherche et de soins en périnatalité. Deux femmes sur trois, entre 25 et 34 ans, affirment ainsi que travailler pendant leur grossesse a été un moment difficile. Les femmes enceintes ne se sentent pas prises en considération. Par conséquent, 70% d’entre elles se voient accorder un congé pathologique, alors que seulement 20% en ont besoin, selon une étude de la Drees. Autre réaction possible, elles se font violence pour garder leur légitimité au sein de l’entreprise.
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Quelles solutions proposez-vous aux entreprises ?
Les entreprises sont les acteurs-clés pour amorcer le changement et réorienter la culture managériale en faveur de la maternité. Pour cela, les Prodigieuses proposent aux services RH d’adopter une posture spécifique à chaque période de la grossesse. Ainsi, pour l’annonce d’une grossesse, nous avons conçu un coffret que l’entreprise offre à sa salariée. Ceci permet de désamorcer les tensions qui peuvent naître au moment de l’annonce, et de renverser la perception de la maternité : ce qui pouvait être interprété comme une « mauvaise » nouvelle, est en fait félicité de manière symbolique par le coffret. Pour accompagner collaboratrices et managers dans les mois qui suivent l’annonce, nous mettons à leur disposition une plateforme en ligne, contenant une foule d’informations de qualité sur les thématiques liées à la grossesse au travail. Enfin, nous organisons dans les entreprises des conférences ou des formations, en faisant intervenir des professionnels : une sage-femme, qui explique les besoins physiologiques de la femme enceinte, une avocate spécialisée en droit social, convaincue de l’intérêt de prévenir en amont, plutôt que de gérer les litiges liés au congé maternité, un médecin généraliste spécialisé en gynécologie, qui met en garde contre l’épuisement des futures mamans, ainsi qu’un pédopsychiatre attirant l’attention sur le lien entre le mal-être de la mère et les éventuels retards de croissance de l’enfant ou les naissances prématurées. Parce que oui, il existe un enjeu de santé publique, et les entreprises ont une part de responsabilité dans le bien-être des mamans, et le bien-naître des enfants. Et pour développer à une plus grande échelle toutes ces initiatives, nous venons de lancer une campagne de financement participatif.
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Les bénéfices pour la future maman apparaissent clairement, mais quel intérêt les entreprises ont-elles à prendre soin des femmes enceintes ?
Il y en a plusieurs ! Un intérêt économique, d’abord, puisque faire face à un arrêt de travail anticipé représente un coût pour l’entreprise. Et si on adopte une vision sur le long terme, un employeur a tout intérêt à rendre compatible maternité et travail, pour voir revenir sa collaboratrice. Fidéliser les femmes enceintes puis les mères de famille participe à leur image de marque : c’est une entreprise dans laquelle il fait bon travailler. Sans oublier que les femmes enceintes sont particulièrement créatives à ce stade de leur vie. Les hormones de grossesse déclenchent des émotions qui favorisent l’inventivité et la créativité. Nombreuses sont les femmes qui se sont lancées dans une nouvelle activité au cours de leur grossesse. C’est le cas par exemple d’Aliza Jabès, fondatrice de Nuxe, qui a créé son “Huile prodigieuse” alors qu’elle était enceinte. Et d’Anne-Laure Constanza, qui a lancé sa start-up de vêtements de grossesse « Envie de fraises », de Cécile, la créatrice des bijoux MintyWendy, en silicone, spécialement conçus pour les mamans de nouveaux-nés, d’Emma Benson, la créatrice anglaise de l’holo, matelas gonflable conçu pour les femmes enceintes, etc… Autant recueillir cette intense créativité au service de l’entreprise !
A paraître : Co-naissance, ou comment réparer la maternité explosée ?, par Marine de Poncins, aux Editions du Cerf, avril 2019, essai.