Alors que des patrons de grandes entreprises pétrolières se sont rendus au Vatican les 8 et 9 juin pour une discrète rencontre avec le pape François sur la transition énergétique et l’écologie, Jean-François Hénin, ancien président de la compagnie d’extraction pétrolière française Maurel et Prom, revient pour Aleteia sur l’intérêt d’une telle rencontre et les défis que doivent relever les groupes pétroliers aujourd’hui.Les dirigeants de compagnies pétrolières et de grands financiers mondiaux (ENI, Statoil, BP, BlackRock…) se sont réunis les 8 et 9 juin dernier au Vatican pour une rencontre de deux jours sur le thème : “La transition énergétique et le soin de notre maison commune”. Jean-François Hénin, ancien président de la “junior” Maurel & Prom, revient pour Aleteia sur cette rencontre et les défis qui attendent les énergéticiens dans les prochaines années.
Aleteia : le Pape a appelé les dirigeants des grands groupes énergétiques à une « nouvelle forme de leadership » mondial engagé pour une « transition énergétique » marquée par le respect de l’homme et de l’environnement. Que vous inspire ces propos ?
Jean-François Hénin : je fais partie des gens assez précautionneux par rapport à la mode actuelle. Ayant également travaillé dans l’industrie pétrolière, je ne suis pas de ceux qui acceptent les yeux fermés toutes les affirmations sur ces sujets. Cette rencontre s’étant tenue à huis-clos, nous n’avons connaissance que de brefs extraits des propos du Saint-Père. Il est donc très difficile, voir hasardeux, d’avoir une opinion sur ce qu’il a réellement dit car en général ses propos sont d’une grande richesse. Quand on parle d’énergie, il faut regarder le processus dans son ensemble : par exemple, la quantité d’énergie nécessaire à fabriquer les panneaux solaires réduit de manière sensible la performance de ce système. Pour la majorité de ces techniques, l’intermittence des productions implique une multiplication des installations et un processus de stockage coûteux et peu performant. On arrive à un surcoût de 60 à 150 % (comme en Allemagne) par rapport au système classique. Il faut pouvoir supporter ce surcoût. L’utilisation du gaz naturel (méthane) qui produit 60% d’eau et seulement 40% de Co2 est sûrement plus écologique que bien des systèmes d’énergie dite renouvelable lorsque l’on intègre tous les coûts (Co2) associés à leur élaboration. En revanche, l’énergie hydraulique, en particulier la petite hydro qui ne nécessite pas de retenue, est une solution idéale mais de disponibilité réduite et les panneaux solaires sont sans doute la solution la plus rationnelle et la plus efficace pour des régions isolées comme le Sahel. Il est donc nécessaire d’avoir un regard dépassionné sur ces questions et de réfléchir au coût du capital et des opérations qui correspond à chaque énergie.
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Comment les acteurs de l’énergie envisagent-ils cette transition énergétique ?
Les gens qui sont à la tête de ces grands groupes y sont car ils ont une vision stratégique de leur entreprise, de leur secteur. Quand ils réfléchissent à la manière dont peut se penser la transition énergétique ce n’est pas uniquement une question de marketing ou de publicité. Viser entre 5 et 15% d’énergies renouvelables dans un mix global me semble pertinent au stade actuel et peut évoluer par la suite à un rythme plus ou moins rapide. Mais, encore une fois, il faut se poser la question rationnellement : le montant alloué au développement de ces énergies renouvelables est-il acceptable économiquement ? Ce capital ne serait-il pas mieux employé dans la recherche technique de l’utilisation, de transport ou d’économie d’énergie par exemple. C’est cet argument de rationalité économique qui peut et doit peser auprès de ces grands groupes et la réponse est différente selon les lieux, les pays et les stades de développement.
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Le Saint-Siège est-il légitime pour organiser une telle rencontre ?
Je partage évidemment ce que dit le pape François dans son encyclique Laudato Si‘ sur la sauvegarde de la maison commune et le respect de l’œuvre sainte. Il est très difficile de s’exprimer sur ces questions et je suis circonspect face à la manière dont beaucoup réagissent quand on formule un avis différent du consensus sur le sujet. Ils sont loin de la mesure des textes pontificaux.
De mon point de vue, les compagnies pétrolières ne doivent pas sacrifier à une mode ; leur métier est d’optimiser l’exploitation et l’utilisation de l’énergie ce que l’on appelle l’efficacité énergétique en améliorant par exemple le rendement des moteurs. En trente ans, le rendement des moteurs ou des turbines a été multiplié par plus de deux. Ce qui signifie que la même quantité d’énergie fossile produit deux fois plus de mouvement ou d’électricité. Le progrès technique a de manière évidente eu un impact beaucoup plus important sur la réduction de la production de CO2 que le développement des renouvelables et pour un coût infiniment moindre. C’est le rôle des compagnies produisant de l’énergie d’augmenter ces performances.
C’est le rôle de toute la société d’éviter les gaspillages et d’économiser l’énergie ! Actuellement seulement 50% de l’énergie produite dans le monde est utilisée, le reste se perd dans le système. Je suis surpris que le Vatican enjoigne, si c’est véritablement le message donné, aux compagnies pétrolières de se concentrer sur les énergies renouvelables. Le problème est beaucoup plus complexe et mérite une approche plus nuancée. Ce débat réclame d’autant plus de précautions que certains mouvements écologistes, fils du club de Rome (connu pour son rapport publié en 1972 “Halte à la croissance ?” ndlr), sont profondément Malthusiens et considèrent que l’homme est l’ennemi de la nature et qu’il est urgent de décroitre de manière radicale sa place sur terre.