L’édition arabe d’Aleteia a rencontré fin mai à Bordeaux Mgr Maroun Nasser Gemayel, évêque maronite pour la France depuis 2012. La communauté de Bordeaux, présente sur place depuis cinq ans, est installée en l’église Saint-Victor.Historiquement établis au Liban, les chrétiens maronites sont environ 85.000 en France. Cette Église, présente à Paris, Suresnes, Marseille, Lyon et Nice, entretient des liens privilégiés avec la France du fait de l’importance de la diaspora libanaise dans l’Hexagone. En janvier 2018, à Issy-les-Moulineaux, une ancienne chapelle a été acquise par le diocèse maronite de France et consacrée à nouveau.
Aleteia : quel est le rôle des maronites à l’heure de la persécution des chrétiens en Orient ?
Mgr Gemayel: Avant de discuter de leur rôle, il est important de parler de leur identité. En effet, avant de connaître votre mission, vous devez savoir qui vous êtes. Pour connaître sa destination, il est important de savoir d’où l’on vient. Malgré leur amour pour leur terre, de nombreux maronites ont été forcés de quitter l’Orient à cause des guerres et des crises économiques. Ceux qui ont décidé de rester là-bas sont convaincus qu’ils ne sont pas forcés de le faire et choisissent librement de prêcher l’Évangile. Par ailleurs, je crois que Dieu a choisi les chrétiens du Moyen-Orient pour que la langue arabe soit un instrument d’évangélisation. En tant que chrétiens, notre rôle en Orient — et celui de l’Église — est de donner un témoignage de notre amour du Christ aux musulmans à travers nos actions. Les chrétiens d’Orient, qui ont dû quitter leurs terres, doivent également jouer ce rôle, aussi bien en Orient qu’en Occident.
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Comment, grâce à votre connaissance de la langue arabe et de l’islam, pouvez-vous aider l’Europe occidentale à mieux comprendre le phénomène islamiste?
En France, notre diocèse n’a que six ans et il est encore jeune. Nous sommes venus en France sans armes. Dieu se tient à nos côtés et nous accompagne dans les projets déjà accomplis. Ce que nous avons fait jusqu’à présent, dans cette partie du monde, a permis aux chrétiens d’Orient de se rendre compte qu’ils sont devenus une référence ici. Nous sommes là pour reconnaître leur identité et leur importance pour notre Église, aussi bien à l’Ouest qu’à l’Est. Sa sainteté le pape Jean Paul II parlait des deux poumons de l’Église : occidental et oriental. Mais nous ne sommes pas arc-boutés sur nos traditions. Ici en France, nous récitons nos prières en français tout en conservant la liturgie orientale. Nous transmettons aux Français nos coutumes, nos traditions, nos valeurs familiales, sociales et morales… Ce qui nous manque, ici, c’est la solidarité entre nous. D’autant que nous sommes de plus en plus nombreux en France et en Europe (85.000 en 2013, ndlr.). La France n’a peut-être pas besoin de nous, mais nous pouvons lui apporter notre expérience auprès du monde musulman et les valeurs que nous maintenons encore aujourd’hui, alors que l’Occident se sécularise. Malheureusement, nous nous éloignons de notre héritage fondamental maronite. Il est nécessaire de revenir à l’authenticité et de trouver une nouvelle organisation avant qu’il ne soit trop tard.
Qui va effectuer ce changement?
Le Saint-Esprit. Nous devons Lui ouvrir nos cœurs et nos esprits. Il est également nécessaire de se réunir et de consulter des spécialistes.
Comment voyez-vous les vocations dans l’Église maronite aujourd’hui ?
Il n’y a pas de problème de vocations dans l’Église maronite, mais il y a un problème de formation. Le prêtre est encore associé à une bonne situation sociale. Nous devons clarifier notre relation avec la vie d’austérité et d’impartialité que le monastère nous avait imposé. La vie maronite était initialement centrée autour du monastère, il y avait comme un partenariat entre le monastère et le peuple. Mais ce partenariat n’existe plus. Notre relation avec nos voisins est devenue une relation de commerce et d’investissement, et non plus d’amour. Nous avons besoin d’un choc fort pour retrouver notre esprit initial ou nous risquons de disparaître.
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Craignez-vous la politique suivie par les maronites ?
Nous n’avons plus de politique maronite. La politique de « partenariat islamo-chrétien » qui appelait à l’ouverture à l’Occident n’existe plus. Aujourd’hui, nous sommes devenus un pont que chaque partie essaie d’attirer vers elle et qui menace de s’effondrer.
Mais la franchise de votre discours ne risque-t-elle pas d’apeurer ?
Je ne suis pas pessimiste. Je travaille sur des projets qui ont pour objet d’insuffler la vie dans la paroisse et de s’ouvrir à l’Église latine. Mais je suis préoccupé par le sort des chrétiens en Orient. Je crains qu’ils soient déportés un jour. Que faire ? Qui aurait imaginé que toutes ces guerres éclateraient en Syrie et en Irak ? Malheureusement, il n’y a pas de décision maronite claire. Depuis les années 1940, il manque une harmonie entre les règles politiques et religieuses. Mais malgré tout, Dieu est capable de donner un sens positif à tout cela. Aujourd’hui, il y a une grande disparité dans les rôles joués par les prêtres maronites dans les différents pays de l’Ouest. Il n’y a pas de formation uniforme. Nombre de maronites fréquentent les églises latines locales. C’est pourquoi nous les appelons aujourd’hui à retourner dans leur Église. Cette réalité doit nous conduire à nous interroger sur le futur de toutes les Églises d’Orient.
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Vous vous trouvez aujourd’hui à Bordeaux où l’Église latine vous a demandé de servir l’Église maronite. Comment l’envisagez-vous ?
Nous disons à l’Église latine que si nous perdons notre identité, cela ne profitera à personne. Si elle nous laisse préserver notre identité, nous serons toujours avec elle pour annoncer la Bonne Nouvelle. Nous la respectons. Elle nous a aidé, ainsi que nos ancêtres. Aujourd’hui, nous avons un diocèse et nous prions l’Église latine de nous aider à le construire. Nous appelons à l’interaction, à l’intégration et au jumelage, comme nous y invitent les Actes des Apôtres. L’Église latine a des édifices, mais il lui manque des appels, et nous avons des appels, mais nous avons besoin d’églises.
Un dernier mot pour les maronites ici en France ?
Les prêtres et moi-même sommes ici afin de servir chacun, de rester en vie, d’approfondir notre foi chrétienne et de garder l’espérance. Nous sommes responsables des générations futures qui nous font confiance. Ils doivent rester enracinés et s’ouvrir aux autres sans perdre leur identité.
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