En même temps que la crise largement médiatisée des Rohingyas, une offensive de l’armée birmane touche la population Kachin. Décryptage.Le 15 mai 2018 le prêtre birman Peter Hka Awng tirait la sonnette d’alarme. Des civils Kachin pourchassés par l’armée birmane trouvaient refuge dans son église. Il déplorait la reprise du conflit larvé entre l’Armée pour l’indépendance du Kachin (KIA), région du nord du pays, et l’armée birmane. Pourquoi ce pays ne connaît-il pas la paix ? Pourquoi le conflit qui touche les Kachin est-il si peu médiatisé ? Décryptage en cinq questions.
Aleteia : Pourquoi l’armée birmane lance-t-elle une offensive dans l’état Kachin ?
Père Peter Hka Awng : Cette offensive au Kachin fait malheureusement partie de la routine de l’état birman. Jean Berlie, chercheur au Centre des études asiatiques de Hong Kong, précise que l’armée birmane tente de régler les conflits dans cette région depuis 1961 ! “Sans grand succès”, constate-t-il. Mais l’armée a besoin de ces conflits pour survivre et conserver le pouvoir.
Comment expliquer que cette offensive soit aussi peu médiatisée, en comparaison de la couverture des événements qui touchent les Rohingyas ?
L’ampleur du conflit n’est pas la même. L’Unicef estime le nombre de déplacés Rohingyas à plus de 600 000, alors que le chiffre est très inférieur concernant les Kachin. Mais cela ne suffit pas à expliquer la différence de traitement. L’indignation internationale est largement causée par le fait que les victimes sont musulmanes,et semblent être discriminées en raison de leur appartenance religieuse. Le conflit contre les Rohingyas, de ce point de vue, s’apparente à un nettoyage ethnique, ce qui le rend encore plus insupportable.
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S’agit-il de “guerres de religions” ? Les bouddhistes nationalistes sont-ils la cause principale de ces conflits ?
Pour l’armée birmane, qui cherche à centraliser un pays aux nombreuses ethnies, le bouddhisme est un élément fédérateur, et les autres confessions apparaissent dès lors comme un problème. Mais Philippe Raggi, chercheur en géopolitique, directeur du département Asie du Sud-Est à l’Académie internationale de géopolitique, propose un élément complémentaire d’explication : “Il y a d’autres fortes minorités musulmanes au Myanmar”, fait il remarquer. Les Panthays d’origine chinoise, par exemple. Or elles n’ont pas de souci d’intégration. Le fait qu’une partie des Kachin soit chrétienne n’est pas bien vu par les autorités, mais ce n’est pas la raison principale qui pousse l’armée birmane à les réprimer. Elle le fait surtout parce qu’il existe une armée Kachin, qui défie son autorité.
Plus largement, pourquoi la Birmanie ne sort elle pas des conflits ?
Les groupes armés ethniques sont légion en Birmanie. Ils sont nés dans le contexte de violence qui a accompagné la création de l’État birman. Ils continuent à exister parce que le contentieux demeure entre un pouvoir autoritaire, centralisateur, et la mosaïque d’ethnies minoritaires qui composent le pays. À cela s’ajoute les divers trafics dans lesquels trempent plusieurs groupes armés ethniques : trafics de drogues, d’armes et de bois. Le trafic de drogue est profondément ancré dans le paysage birman, il alimente les groupes armés et toutes les formes de violences. “Il n’y a pas vraiment d’unité du pays et les militaires, lorsqu’ils furent au pouvoir, n’ont pas employé la manière la plus fine pour tenter de disséminer, d’inculquer un sentiment national à ses ressortissants, c’est le moins que l’on puisse dire”, commente Philippe Raggi.
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Y a-t-il des puissances extérieures qui ont intérêt à ce conflit ?
Philippe Raggi souligne sur son blog que la tragédie des Rohingyas et sa médiatisation sert des intérêts étrangers. Comme souvent il est question de pétrole. Le groupe Total présent au Myanmar (Birmanie) depuis 1992 serait attaqué principalement par des ONG anglo-saxonnes qu’il accuse d’être “financées par les groupes pétroliers”. Dans le but de sortir Total du jeu au profit des britanniques et américains, tels Exxon, British Petroleum, mais aussi Shell, etc.