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Document : le Vatican décortique le système économique et financier

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La rédaction d'Aleteia - publié le 18/05/18
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Aleteia a sélectionné les passages clefs du texte Œconomicae et pecunariae questiones publié jeudi par le Dicastère pour le service du développement humain intégral.Le document Œconomicae et pecunariae questiones — Questions économiques et financières, en latin vise à donner une “solide vision anthropologique” à l’activité économique, ont estimé le cardinal Peter Turkson, préfet du Dicastère pour le service du développement humain intégral, et Mgr Luis Ladaria Ferrer, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi.

Introduction

« Aujourd’hui plus que jamais, les problèmes économiques et financiers attirent notre attention, en raison de l’influence croissante des marchés sur le bien-être matériel d’une bonne partie de l’humanité. Cela requiert, d’une part, une juste régulation de leurs dynamiques et, d’autre part, un fondement éthique clair qui garantisse au bien-être obtenu une qualité humaine de relations que les mécanismes économiques ne sont pas en mesure de produire à eux seuls. De nos jours, un tel fondement éthique est réclamé de toutes parts, en particulier par ceux qui travaillent dans le système économique et financier. C’est précisément là que devient évidente la nécessité d’une alliance entre savoir technique et sagesse humaine, sous peine de voir tout agir humain se pervertir. »


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« Toute activité humaine est appelée à produire des fruits, en disposant généreusement et équitablement des dons mis originairement par Dieu à la disposition de tous ; elle doit aussi développer, avec une ferme espérance, les semences de bien inscrites dans toute la création comme une promesse de fécondité. Cet appel constitue une invitation permanente au déploiement de la liberté humaine, même si le péché est toujours prêt à miner ce plan divin originaire. C’est pourquoi Dieu vient à la rencontre de l’homme en Jésus-Christ. Il nous fait participer à l’événement admirable de sa Résurrection ; il “ne rachète pas seulement l’individu, mais aussi les relations sociales” ; il travaille pour un nouvel ordre de relations sociales fondées sur la Vérité et l’Amour, un levain fécond de transformation de l’histoire. Ainsi, il anticipe le Royaume des cieux qu’il est venu annoncer et inaugurer en sa personne dans le cours du temps. »

« Si le bien-être économique mondial s’est indubitablement accru au cours de la seconde moitié du XXe siècle, avec une mesure et une rapidité jamais perçues auparavant, il faut cependant noter que, parallèlement, les inégalités se sont amplifiées au sein des différents pays, comme aussi entre les nations. Un grand nombre de personnes continue de vivre dans l’extrême pauvreté. La récente crise financière aurait pu être l’occasion pour développer une nouvelle économie plus attentive aux principes éthiques et pour une nouvelle régulation de l’activité financière, en éliminant les aspects prédateurs et spéculatifs et en valorisant le service à l’économie réelle. Bien qu’à divers niveaux, de nombreux efforts positifs aient été accomplis, lesquels sont à saluer et à apprécier, aucune réaction, cependant, n’a permis de repenser ces critères obsolètes qui continuent de gouverner le monde 10. Au contraire, un égoïsme aveugle semble parfois prévaloir, limité au court terme ; faisant fi du bien commun, il exclut de ses horizons la préoccupation non seulement de créer mais aussi de partager la richesse et d’éliminer les inégalités aujourd’hui si aiguës. »

Considérations élémentaires de base

« Notre époque a montré l’essoufflement d’une vision individualiste de l’homme pris surtout comme un consommateur, dont le profit consisterait avant tout à optimiser ses gains pécuniaires. En réalité, la personne humaine est dotée singulièrement d’un caractère relationnel et d’une rationalité continuellement à la recherche d’un gain et d’un bien-être entiers et non réductibles à une logique de consommation ou aux aspects économiques de la vie ».

« Il est souhaitable que particulièrement les institutions universitaires et les business schools prévoient dans leur cursus d’études, de façon non marginale ou accessoire, mais bien fondamentale, des cours de formation qui amènent à comprendre l’économie et la finance à la lumière d’une vision complète de l’homme, non réduite à certaines de ses dimensions, et d’une éthique qui l’exprime. La doctrine sociale de l’Église offre à ce sujet une grande aide. »

« Aucune activité économique ne peut prospérer de manière durable, si elle ne s’insère dans un climat de saine liberté d’initiative. Aujourd’hui, il est également évident que la liberté dont jouissent les acteurs économiques, si elle est comprise de manière absolue et détournée de sa référence intrinsèque à la vérité et au bien, tend à générer des centres de suprématie et à incliner vers des formes d’oligarchie qui, à terme, nuisent à l’efficacité même du système économique »



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« Il est également clair que le puissant moteur de l’économie que sont les marchés n’est pas en mesure de se réguler par lui-même : les marchés, en effet, ne peuvent ni produire les conditions qui leur permettent de se développer dans les règles (cohésion sociale, équité, confiance, sécurité, lois…), ni corriger leurs effets et leurs expressions nuisibles à la société humaine (inégalités, dégradation de l’environnement, insécurité sociale, fraudes…). 

« Puisque dans la situation actuelle, la complexité de nombreux produits financiers fait de cette inégalité un élément inhérent au système lui-même, et place les acquéreurs en situation d’infériorité par rapport à ceux qui les commercialisent, de toutes parts, il est demandé le dépassement du principe traditionnel de caveat emptor. Ce principe, selon lequel il incombe avant tout à l’acheteur de vérifier la qualité du bien acquis, présuppose, en réalité, une parité des contractants quant à leur capacité à défendre leurs intérêts. Or de fait, cette situation n’existe pas, soit en raison de la relation hiérarchique évidente qui s’instaure dans certains types de contrats (par exemple, entre prêteur et emprunteur), soit à cause de la structuration complexe de nombreuses opérations financières. »

« Ce qui est moralement inacceptable, ce n’est pas le simple fait de faire un gain, mais celui d’utiliser à son avantage une inégalité pour générer des profits importants au détriment des autres ; c’est de faire fortune en abusant de sa position dominante au détriment d’autrui ou de s’enrichir en nuisant au bien-être collectif ou en le perturbant […] La spéculation, en particulier dans la sphère économique et financière, risque aujourd’hui de supplanter toutes les autres finalités majeures qui sous-tendent la liberté humaine. Cela porte atteinte à l’immense patrimoine de valeurs qui fonde la société civile, lieu de coexistence pacifique, de rencontre, de solidarité, de réciprocité revigorante et de responsabilité en vue du bien commun. Dans cette ligne, des termes tels que l’“efficacité”, la “concurrence”, le “leadership”, le “mérite”, tendent à occuper tout l’espace de notre culture civique ; ils assument une signification qui finit par appauvrir la qualité des échanges, réduite à un pur coefficient numérique. »

Des précisions dans le contexte actuel

« On comprend donc l’exigence, aujourd’hui toujours plus ressentie, d’introduire une homologation par les autorités publiques de tous les produits issus de l’innovation financière, afin de préserver la santé du système et de prévenir les effets collatéraux négatifs. Encourager la santé et éviter la corruption, même d’un point de vue économique, est un impératif moral incontournable pour tous les acteurs impliqués dans les marchés. Cette nécessité montre également l’urgence d’une coordination supranationale entre les différentes composantes des systèmes financiers locaux ».

« L’expérience des dernières décennies a démontré, d’une part, combien il est naïf de croire en une autosuffisance présumée des marchés dans leur fonction d’allocation des ressources, indépendamment de toute éthique ; d’autre part, elle révèle le besoin urgent d’une bonne régulation qui conjugue en même temps la liberté et la protection de tous les acteurs, et surtout des plus vulnérables, par un système d’interaction saine et correcte. […] Étant donné la globalisation actuelle du système financier, une coordination stable, claire et efficace s’impose entre les différentes autorités nationales de régulation des marchés, avec la possibilité, et parfois aussi la nécessité, de partager en temps opportun les décisions contraignantes, quand le bien commun est en danger. Ces autorités de régulation doivent toujours rester indépendantes et liées aux exigences de l’équité et du bien commun. À cet égard, les difficultés compréhensibles ne devraient pas décourager de la recherche et de la mise en oeuvre de tels systèmes de réglementation. Ceux-ci doivent être l’objet d’accords entre les différents pays, mais à portée effective supranationale. »


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« Le monde de la finance offshore se nourrit surtout de cette intention de spéculation qui, tout en offrant aussi d’autres services licites, à travers les canaux généralisés de contournement fiscal, et même d’évasion ou de recyclage de l’argent, fruit de délit, aboutit ensuite à un appauvrissement du système normal de production et de distribution des biens et des services. Il est difficile de distinguer si beaucoup de ces situations donnent lieu immédiatement ou plus tard à des cas d’immoralité ; mais de telles réalités, là où elles soustraient injustement la lymphe vitale à l’économie réelle, peuvent difficilement trouver une légitimité, tant du point de vue éthique que celui de l’efficience globale du système économique lui-même. »

« Il importe avant tout de pratiquer à tous les niveaux la transparence financière (par exemple avec l’obligation de rapport public pour les entreprises multinationales, de leurs activités respectives et des taxes payées dans les pays où elles opèrent à travers leurs filiales) ; en outre, envisager des sanctions incisives à imposer aux pays qui réitèrent les pratiques malhonnêtes ci-dessus mentionnées (évasion et contournement fiscal, recyclage de l’argent sale). »

« Les États sont appelés d’une part, à remédier à cette situation au moyen d’adéquates gestions du système public par le biais de réformes structurelles sages, et par la répartition judicieuse des dépenses et des investissements ciblés ; d’autre part, au plan international, en mettant chaque pays face à ses responsabilités incontournables, il faut également permettre et encourager de manière raisonnable les voies judicieuses de sortie de la spirale de la dette, en ne faisant pas porter aux États – et donc à leurs concitoyens, en clair à des millions de familles – le fardeau de ce qui de fait se révèle insoutenable. »

Conclusion

« Face à l’immensité et à l’omniprésence des systèmes économiques et financiers d’aujourd’hui, nous pourrions être tentés de nous résigner au cynisme et de penser que nos pauvres forces n’y peuvent faire que bien peu. En fait, chacun de nous peut faire beaucoup, surtout s’il ne reste pas seul. […] Même s’il peut sembler fragile et insignifiant, chaque geste de notre liberté s’appuie, s’il est vraiment orienté vers le bien authentique, sur Celui qui est le vrai Maître de l’histoire. Il s’inscrit dans une positivité qui dépasse nos pauvres forces, en se joignant de façon indissociable à tous les actes de bonne volonté dans un réseau qui relie le ciel et la terre, en véritable instrument d’humanisation de l’homme et du monde. »

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