Motif artistique très populaire au Moyen Âge, la danse macabre tire très certainement son origine de celle exécutée en 1424, au cimetière des Innocents de Paris. La toute première réalisée en France selon les historiens. Aujourd'hui disparue, elle reste célèbre grâce aux gravures publiées. Cette danse était peinte sur l'un des murs du cloître du cimetière, le plus important charnier de la ville à cette époque. L'artiste demeure inconnu mais a fait preuve d'une imagination débordante. Omniprésente, la Mort y était représentée de nombreuses fois sous des postures très différentes : nue, drapée d'un linceul, avec une faux ou bien une lance. Dans d'autres représentations plus tardives, elle est parfois représentée avec un instrument de musique pour évoquer le côté séducteur, hypnotisant, enchanteur de la grande faucheuse.
Pourquoi cette obsession de la mort ?
Au XVe siècle, la population reste marquée par la Guerre de Cent Ans (1337-1453) et la grande peste de 1348. La mort est partout et touche toutes les classes sociales. Les artistes, peintres, sculpteurs, écrivains... sont obsédés par l'idée de la mort et puisent abondement dans ce thème comme pour l'exorciser.
Ces danses macabres, mêlant empereur, roi, pape, prince, bourgeois, paysan, religieux à des squelettes morbides et joyeux, rappellent que la mort entraîne tout le monde avec elle. Elle ne regarde ni le rang, ni les richesses, ni le sexe, ni l'âge de ceux qu'elle fait entrer dans sa danse. Ces farandoles sont souvent accompagnées de quelques vers que la Mort adresse à ses victimes d'un ton menaçant et accusateur. Le texte qui accompagnait la danse macabre de Paris, écrit par Jean Gerson, est parvenu jusqu'à nous. En voici un extrait :
L'acteur
Oh toi, créature raisonnable,
Qui désire la vie éternelle,
Tu as ici une leçon digne d'attention
Pour bien finir ta vie de mortel.
Elle s'appelle la danse macabre ;
Chacun apprend à la danser.
Elle est naturelle à l'homme comme à la femme :
La Mort n'épargne ni petit, ni grand.
En ce miroir chacun peut lire
Qu'il devra un jour danser ainsi.
Sage est celui qui s'y contemple bien !
La Mort mène les vivants ;
Tu vois les puissants partir en premier,
Car il n'est personne que la Mort ne vainque.
C'est pitié que d'y penser :
Tout est forgé d'une seule matière.La Mort
Vous qui vivez : il est certain,
Quoique cela tarde, que vous danserez.
Mais quand, Dieu seul le sait !
Réfléchissez à ce que vous ferez alors.
Sire Pape, vous irez le premier,
En votre titre de plus digne seigneur ;
Vous serez honoré à cet égard.
Honneur est dû aux grands souverains.Le Pape
Hélas ! Faut-il que je mène la danse,
Que j'aille le premier, moi qui suis l'incarnation même de Dieu ?
J'ai eu la plus haute dignité
En l'Église, comme saint Pierre ;
Mais la Mort vient me quérir comme tous les autres.
Je ne me soucie pas encore de mourir,
Mais la Mort fait la guerre à tous.
Il vaut peu, l'honneur qui passe si vite !La Mort
Et vous, qui n'avez pas votre pareil au monde,
Prince et seigneur, grand empereur,
Vous devez lâcher la ronde pomme d'or ;
Armes, sceptre, couronne, bannière,
Je ne vous les laisserai pas ;
Vous ne pouvez plus régner.
J'ai comme coutume de tout emporter.
Les fils d'Adam doivent tous mourir.L'empereur
Je ne sais pas qui je dois appeler à mon secours
Contre la Mort, qui m'a en son pouvoir.
Il me faudrait une arme pour combattre le pic, la pelle
Et le linceul ; j'en ai grand besoin.
J'ai été le plus grand seigneur au monde,
Et il me faut mourir pour toute récompense !
Qu'est-ce que le pouvoir des mortels ?
Même les plus grands n'en ont pas.
La France conserve une dizaine de danses macabres, le plus souvent peintes mais parfois sculptées. Certaines ont été sauvegardées grâce au badigeon avec lequel on les avait recouvertes, à l'époque où ces images n'étaient plus à la mode.