Dans la cour d’honneur de l’hôtel des Invalides, le président de la République a rendu hommage mercredi au colonel Arnaud Beltrame, assassiné par un terroriste islamiste le 23 mars dernier à Trèbes (Aude). Dans son intervention, sur laquelle planait la figure de Charles Péguy, le chef de l’État a voulu donner pleinement sens au sacrifice de l’officier de gendarmerie. Il y est incontestablement parvenu.Le don de soi, l’esprit de sacrifice, l’amour de son pays, la protection des siens, le courage, la responsabilité singulière du chef, la générosité et l’espérance étaient au cœur de l’hommage rendu au colonel Beltrame par le chef de l’État… Certains pourront regretter avec amertume qu’il faille attendre que le pays soit frappé par des tragédies pour que ces valeurs séculaires, attachées à la civilisation européenne, soient évoquées et défendues. C’est néanmoins avec une conviction palpable qu’Emmanuel Macron les a invoquées ce mercredi 28 mars devant le cercueil du gendarme héroïque, mort pour avoir pris la place de Julie — mère de famille et hôtesse de caisse au Super U de Trèbes — que Radouane Lakdim avait pris en otage. En affirmant avec force que cet officier demeurera pour longtemps l’incarnation de ces valeurs, le chef de l’État a su révéler en profondeur l’un des fruits les plus précieux que porte déjà son sacrifice exemplaire.
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Certes, Emmanuel Macron a longuement salué la dimension magnifique et exceptionnelle du geste du colonel Beltrame, et a rappelé les traits de sa belle personnalité. Il aurait pu se cantonner à cette dimension, ce qui n’aurait pas été indigne, mais convenu. Toute l’intelligence symbolique et politique – dans la noble acception du terme — du discours du président de la République, fut de rappeler que le geste sublime était non pas réservé à une catégorie supérieure d’individus mais la manifestation contemporaine et déchirante, de vertus ancrées très profondément dans l’âme du peuple français. Vérité paradoxale de prime abord, à l’heure des perches à selfies et des « like », mais néanmoins peu contestable. Et de convoquer pour cela l’histoire de France qu’il se garde de faire démarrer en 1789. Le colonel Beltrame, estime Emmanuel Macron dans un passage qui fait songer aux vers de Charles Péguy, s’inscrit dans la lignée de célèbres figures héroïques, de Jeanne d’Arc à Pierre Brossolette et Jean Moulin, mais aussi dans celle des anonymes qui se sacrifièrent pour leur pays et leur peuple, qu’il s’agisse des poilus de Verdun ou des 177 fusiliers marins du commando Kieffer qui débarqua le 6 juin 1944 sur la plage de Ouistreham. Arnaud Beltrame a fait surgir « l’esprit de résistance français », a souligné le président. Son sacrifice « dit comme aucun autre ce qu’est la France ».
La menace désignée
Or ces vertus ne sont pas mortes, contrairement à ce qu’affirment pessimistes et déclinistes. Incontestablement engourdies, elles n’en continuent pas moins à se manifester régulièrement, en particulier au sein des corps de métier dont l’âme est le service des autres et du pays. Emmanuel Macron a aussi voulu rendre hommage à ces hommes et ces femmes dans son discours dont l’un des principaux mérites est ainsi d’exposer à la lumière l’héroïsme ordinaire de nos contemporains, que le colonel Beltrame a porté à un degré ultime. En témoignent par exemple les sept sapeurs-pompiers morts en service depuis le début de l’année 2017, ou – sur un laps de temps différent – les 154 militaires morts en opération extérieure entre 2007 et 2016. Et si l’on extrapole l’allocution présidentielle, il n’est sans doute pas illégitime de penser que ces mêmes valeurs se manifestent dans des professions ou engagements moins exposés : les enseignants, cités par le locataire de l’Élysée, mais aussi les aides-soignantes, les urgentistes, les élus locaux, les petits entrepreneurs, les bénévoles et tant d’autres…
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Pour autant, Emmanuel Macron a clairement désigné la menace, l’« islamisme souterrain » et les « imams de haine et de mort », qui n’a pas toujours été pointée de manière aussi explicite par son prédécesseur, face auquel il faut entrer en « résistance » en se mobilisant sur des valeurs fortes. Et c’est sans doute sur ce point que le discours du chef de l’État a pris la dimension la plus audacieuse et la plus inspirante, nettement démarquée de l’air du temps. C’est au travers de la brèche ouverte par la disparition des valeurs et des repères que s’engouffre l’idéologie jihadiste, estime-t-il. Or la pire des erreurs face à l’idéologie radicale serait de sombrer dans un « relativisme morne » dans lequel tout vaut tout, et donc rien ne vaut plus rien. Et ces valeurs, ce sont celles que portaient le colonel Beltrame : élevées et exigeantes, loin des incantations consensuelles. Comment ne pas établir ici un rapprochement entre le propos présidentiel et la pensée de Benoît XVI qui avait dénoncé la « dictature du relativisme » lors de l’ouverture du conclave de 2005, y voyant l’un des plus graves dangers menaçant notre civilisation ? Comment ne pas entendre aussi dans la bouche du chef de l’État un lointain écho du discours de Harvard d’Alexandre Soljenitsyne dans lequel il pointait les conséquences tragiques de l’abdication morale à l’ère de la consommation.
Nul doute que passé le temps de l’hommage national ressurgiront les débats concrets sur les moyens judiciaires, policiers et militaires de juguler durablement la menace islamiste. Emmanuel Macron ne peut échapper à cette dimension incontournable du combat. Néanmoins, en rappelant que celui-ci se mène aussi sur le terrain moral et spirituel — « le socle vivant de la République, c’est la force d’âme » — il soulève un point capital que le laïcisme agressif et le relativisme ambiant se gardent de souligner. « Si on doit un jour ne plus comprendre comment un homme a pu donner sa vie pour quelque chose qui le dépasse, ce sera fini de tout un monde, peut-être de toute une civilisation », a dit un jour Hélie Denoix de Saint Marc. L’allocution d’Emmanuel Macron vient heureusement rappeler que la vérification de la crainte exprimée par cette grande figure de la Résistance et de la Légion étrangère, n’est pas encore imminente.
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