Comment concilier foi et psychanalyse ? Dans un entretien accordé à Aleteia, Laurent Lemoine, dominicain et psychanalyste, explique le(s) lien(s) pouvant les rapprocher. Foi et psychanalyse n’ont pas toujours fait bon ménage. Mais aussi étrange et paradoxal que cela puisse paraître, elles se comprennent, se répondent. Dominicain et psychanalyste, le père Laurent Lemoine, qui vient de publier Quoi de neuf docteur ? La psychanalyse au fil du religieux aux éditions Salvator, enseigne l’éthique théologique à l’Institut catholique d’Angers. Il revient pour Aleteia sur le(s) lien(s) entre la psychanalyse et l’Église catholique.
Aleteia : Pour les catholiques, qu’est-ce qui différencie le prêtre du psychanalyste ?
Laurent Lemoine : Le rôle du prêtre est de s’occuper strictement de la morale, des actes moraux et de comment la personne se développe de manière vertueuse. Il s’appuie sur la partie saine de la personnalité et uniquement sur cela. Ce qui ne relève pas du prêtre mais du psychanalyste, c’est d’aller regarder du côté de la vie psychique. Le prêtre en tient compte, l’écoute mais ne doit pas agir dessus. Prêtre et psychanalyste ont chacun leur place, leur rôle et leur champ de compétences. Ils ne doivent pas essayer de faire ce que fait l’autre.
Pour un catholique, la psychanalyse a-t-elle un sens ?
Elle n’a pas plus ou moins de sens que pour quelqu’un d’autre. Elle n’a juste pas le même sens. Un catholique peut en toute bonne foi nier l’intérêt du psychanalyste en se disant : « Si j’ai un problème, j’en parlerai à mon curé ». Le prêtre, homme du sacré, est aussi un homme de confiance. Il a ses outils propres que sont l’écoute et les sacrements. Mais cela peut ne pas être la seule réponse à apporter à une personne en souffrance. C’est donc à lui de l’orienter ensuite vers la personne compétente.
“Le prêtre doit savoir passer la main”
Les prêtres devraient-ils tous avoir un numéro de psychanalyste à conseiller le cas échéant ?
Dans l’accompagnement spirituel et les confessions, les prêtres constatent assez souvent qu’il peut y avoir des difficultés d’ordre psychologique. Quand le cas se présente, le prêtre doit savoir travailler en réseau et passer la main. C’est d’ailleurs ce que font les professionnels du soin. Être prêtre est un métier de la relation, on ne peut pas le faire tout seul, on a besoin d’objectiver, de passer la main lorsque la situation l’exige. Travailler en solitaire, pour un prêtre comme pour un psychanalyste, est une pratique risquée.
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Sont-ils formés à la psychanalyse ?
C’est rare, souvent modeste et parcellaire, mais cela arrive. Dans les séminaires, certains modules ont ainsi plus ou moins trait à la psychanalyse. La formation des prêtres est essentiellement fondée sur la théologie et la philosophie mais ce n’est pas une raison pour délaisser « l‘humus psychique ». Globalement, ce déficit de formation en psychanalyse est dommage car au cours de son ministère, le prêtre rencontre énormément de gens. Que ce soit pour une préparation au mariage, pour un accompagnement spirituel ou une aide au discernement, le prêtre écoute et conseille énormément de personnes. Hors à peu près 20 % des gens ont été amené à consulter un jour un psychanalyste dans leur vie ! Et c’est bien normal : le psychisme fait partie de l’histoire d’une vie ! Que les prêtres n’aient aucune formation dans ce domaine peut être dommageable.
La psychanalyse, comme la religion, s’intéresse à l’intériorité. Pourtant il y a eu pendant longtemps une méfiance, un désamour entre les deux. Comment l’expliquez-vous ?
L’ambiguïté de fond vient du fait que Freud était un scientiste et un athée convaincu qui a passé son temps à… s’occuper des questions religieuses. Parfait reflet du climat de son époque, Freud a assumé un athéisme de conviction et a critiqué la religion en la réduisant, de manière quasi phénoménologique, la métaphysique à une métapsychologie. Le malentendu initial vient de l’identification faite par Freud d’une psychanalyse se heurtant à la religion et à ses dogmes. Depuis le début l’Église a été méfiante à l’égard de la psychanalyse à cause de cela et des conceptions de Freud qui fonde la sexualité comme l’origine des névroses. Sans être totalement révolue, cette vision évolue et nous assistons à un dialogue assez fécond entre religion et psychanalyse même si l’on revient parfois à ce malentendu initial.
“Observer ces deux réalités comme des expériences”
Comment la psychanalyse s’articule-t-elle avec la religion ?
La mauvaise manière de les articuler est de confronter les doctrines, c’est-à-dire de s’en tenir aux enseignements des uns et des autres, en opposant les textes de Freud et Lacan à ceux de la théologie catholique. Procéder ainsi conduirait au clash, à l’incompréhension réciproque. La bonne entrée est celle de l’expérience : la psychanalyse, de la même manière que la foi, se présente comme une expérience. Celle de la cure pour la psychanalyse, et l’expérience pascale pour la foi chrétienne. Il faut les mettre en tension féconde par l’expérience ! La bonne porte d’entrée ce n’est donc pas l’incompatibilité ou la compatibilité des deux mais l’observation de ces deux réalités comme des expériences.
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La psychanalyse est-elle un exercice spirituel ?
Oui et non. Les gens en ont tellement marre de la vie moderne, de la souffrance au travail, de leur rythme effréné ou encore du libéralisme galopant qu’ils se donnent les moyens de faire des retraites, des pèlerinages ou de l’accompagnement spirituel… Ils découvrent qu’ils ont besoin de respirer ailleurs. En ce moment, la psychanalyse sert également à cela. C’est un moyen de parler, d’évacuer… Pour certains, c’est peut-être le seul lieu où ils peuvent parler de la façon la plus sincère et authentique à quelqu’un qui les écoutent. Est-ce un exercice spirituel ? Je suis un peu réservé sur le terme “spirituel”… Il ne s’agirait pas de baptiser la psychanalyse !