Surnommé le pape réformateur, François interpelle autant qu’il séduit. À l’occasion des cinq ans de son pontificat, Christiane Rancé, essayiste et auteur du livre « François, un pape parmi les hommes », revient pour Aleteia sur son image, son action et les défis qu’il doit relever.Le 13 mars 2013, Jorge Mario Bergoglio, archevêque de Buenos Aires, est élu 266e pape de l’Église catholique. Il prend alors le nom de François, en référence à saint François d’Assise. Élu avec pour mission de réformer l’Église et la Curie, le pape François chahute et bouscule. Christiane Rancé, essayiste et auteur du livre François, un pape parmi les hommes, revient pour Aleteia sur les cinq premières années de son pontificat.
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Aleteia : Comment décririez-vous le « style » François ?
Christiane Rancé : Le style François, c’est celui des curés italiens du Piémont du siècle dernier, qui pratiquaient un christianisme à la fois pieux et fortement engagé auprès des plus pauvres. Ils suivaient l’exemple don Giovanni Bosco, ce fils de pauvres paysans de Castelnuovo, patrie originelle des Bergoglio, canonisé par Pie XI en 1934, et fondateur de l’Ordre des Salésiens de don Bosco. François a un petit côté don Camillo. Une bonhomie pleine de tendresse, de fermeté et de familiarité au sens noble du terme, et qui pousse celui qui la reçoit au meilleur de lui-même. Un don Camillo qui s’autorise à sermonner tous les Pepone du monde quand il sent que son Eglise est menacée. Ce style, c’est sa grand-mère Rosa Margarita qui l’a inspiré à François. Jorge Mario Bergoglio a été élevé dans l’admiration des œuvres de don Bosco, qui s’était dévoué à la cause des enfants abandonnés de Turin et à leur éducation, ainsi qu’au sort des vagabonds, et à toutes les périphéries sociales qui surgissaient en marge des premières villes industrielles. Lorsqu’il a été nommé archevêque de Buenos Aires, Bergoglio s’en est souvenu. Il a circulé en métro. Il demandait qu’on l’appelle monsieur le curé et consacrait ses après-midi à visiter les très nombreux bidonvilles qui ont fleuri à Buenos Aires dès les années 1990.
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Quels sont, selon vous, les gestes forts du pape François ?
Son premier geste fort, a été de renouer immédiatement un lien de douceur et de confiance avec les fidèles. Dès qu’il est apparu au balcon, il leur a demandé, avec simplicité et humilité, de prier pour lui, puis il leur a souhaité une bonne soirée et un bon appétit. En quelques minutes, il a balayé la défiance d’un grand nombre de catholiques pour leur Église dont ils n’entendaient plus parler qu’à coup de scandales. Son deuxième geste fort a été de quitter la Chapelle Sixtine dans le même bus que les autres cardinaux, comme s’il était resté l’un d’eux, et de refuser de s’installer dans les ors des appartements pontificaux – il se démarquait ainsi d’une Institution de plus en plus mal perçue, qu’il accusera plus tard de se complaire dans les mondanités. Ensuite, il a annoncé sans attendre sa volonté de réformer une Curie de plus en plus compromise, et de plus en décalée par rapport aux attentes des fidèles, notamment sur les questions de la famille. Au lieu des vacances traditionnelles, il a demandé à tous de rester au Vatican pour mettre en route les grands chantiers qui lui semblaient prioritaires. Enfin, il a choisi pour premier voyage officiel d’aller à Lampedusa, lieu emblématique du martyre des Migrants, qu’il a toujours mis au cœur de sa pastorale et dont il veut, manifestement, faire l’une des marques de son Pontificat
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Dans quel domaine son action vous paraît-elle la plus forte ?
Dans sa volonté de voir l’Église sortir d’elle-même pour aller à la rencontre du monde – un monde qu’il ne limite pas aux baptisés. Il le fait à l’imitation de ce qui est rapporté dans l’Évangile selon saint Matthieu (18 ; 12-14) et dans l’Évangile selon saint Luc (15 ;4-7) ainsi qu’à l’imitation de saint François d’Assise dont il a pris le nom – une première dans l’histoire de la papauté. Le pape François veut que les pasteurs de l’Église catholique aillent vers les plus pauvres, les plus égarés, et vers les plus nécessiteux dans toutes les acceptions du terme. C’est à eux tous qu’il ouvre les bras. De même, comme le saint d’Assise, il est allé à la rencontre des musulmans. Il s’est souvenu qu’au plus sanglant de la cinquième croisade, François a risqué sa vie pour traverser les lignes ennemies et rencontrer, à Damiette, le sultan Malik al-Kamil.
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Selon vous, comment est perçu le pape François en-dehors de la sphère chrétienne ?
Excellemment bien, il me semble. Il est incontestable qu’il n’y a pas d’autre autorité religieuse dont la parole ait, aujourd’hui, un poids aussi important. Il est très écouté. La moindre de ses déclarations est répercutée dans tous les médias, et dans le monde entier. On tend d’autant plus l’oreille à ses propos qu’il a avoué clairement vouloir s’impliquer dans les questions politiques. Paradoxalement, il est peut-être mieux perçu à l’extérieur de l’Église, qu’à l’intérieur où il suscite des réserves et des oppositions inédites, car la plupart d’entre elles ne sont pas émises par des groupes qu’on qualifie, à tort ou à raison, d’extrémistes. Pas d’alarmisme pour autant, personne ne menace l’Église de scission, ou de schisme. Le Christianisme n’a jamais connu une telle progression, qui hélas s’accompagne aussi d’une progression du nombre de ses martyrs. Et comment le pape François ne rencontrerait-il pas quelques réticences ? Ce qu’il fait, ce qu’il demande nous met en face de nous –mêmes, et exige de nous une conversion radicale qui dérange nos conforts.
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Quel est le principal défi qui attend le pape François ces cinq prochaines années ?
En Europe, il y a la crise de la vocation des prêtres. Beaucoup plus de gens qu’on ne le croit aimeraient franchir le seuil de leur église mais la porte est fermée, faute de prêtres. Plus mondialement, il y a les réponses à donner aux dévastations de l’ultra-libéralisme, et à l’adoration de plus générale pour le Veau d’or, ainsi qu’aux avancées techniques qui se présentent sous les couleurs prestigieuses du progrès, dont le transhumanisme n’est pas le moindre. Mais enfin, le plus grand des défis à mes yeux sera de faire entendre l’appel à la Paix qu’a toujours proféré le Christianisme, dans un monde où la violence sous toutes ses formes et les foyers guerriers décuplent. Son défi, sera de convertir de plus en plus d’hommes à la vérité des Évangiles, des hommes qui auront l’universelle volonté de maintenir la paix sur cette Terre. Rappelons l’adage qui veut le christianisme demande, non pas comment va le ciel, mais comment on y va.
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Quel regard portez-vous sur ces cinq années de pontificat ?
Un regard admiratif. Pour des raisons personnelles : j’ai suivi le pape François en Argentine, quand il était archevêque de Buenos Aires et j’ai vu son courage, son travail, et les vocations qu’il a suscitées. Pour des raisons objectives : en cinq ans, alors que les vaticanistes prédisaient qu’il serait impuissant à réformer la Curie, il a déjà entrepris d’énormes chantiers, accompli des réformes de taille, dont celle concernant les institutions financières. Toutefois, cette admiration ne m’empêche pas de rester lucide. Dans la proximité qu’il a voulue et ses prises de parole, il y a eu des propos hâtifs, des jugements à l’emporte-pièce, et une certaine désaffection pour les églises d’Europe et leurs fidèles. Il y a aussi la question de la pédophilie qu’il doit aborder sans trembler, avec plus de courage et de détermination encore que pour tous les autres problèmes qu’il a attaqués. Là se joue la confiance en lui et en son Église, et plus encore, la possibilité d’une foi invincible en l’Église, celle dont elle a besoin pour relever tous les défis que les chrétiens du XXIè siècle auront à affronter.