En profondeur, l’homme s’est caché pendant des années derrière ses exploits artistiques, souvent inspirés du consumérisme, se distinguant ainsi du reste des mortels et de son propre milieu. Pourtant, Andy Warhol avait d’autres ressources intérieures, moins connues, mais non moins importantes pour connaître l’homme véritable qu’il a été.Et si la foi était une des clefs du mystère Andy Warhol ? Le Musée Andy Warhol de Pittsburgh et les Musées du Vatican sont actuellement en discussion pour organiser une exposition en 2019 et faire connaître la spiritualité dans l’oeuvre du célèbre artiste, personnalité complexe et pleine de paradoxes. Parmi les oeuvres du roi du roi du Pop Art qui seront exposées, sa série de croix et sa reproduction de La Cène de Léonard de Vinci.
La directrice des Musées du Vatican, Barbara Jatta, s’est exprimée sur ce choix révélé par le magazine The Art Newspaper le 26 janvier dernier : “Nous sommes très intéressés d’explorer le côté spirituel de l’artiste. Il est très, très important pour nous d’avoir un dialogue avec l’art contemporain. Nous vivons dans un monde d’images et l’Église doit faire partie de cette conversation”. L’exposition se tiendra trente-neuf ans après le voyage d’Andy Warhol à Rome pour rencontrer le pape Jean-Paul II, en 1982, et 22 ans après sa mort.
Une foi cachée de son vivant
Le choix du Vatican peut surprendre. Car de son vivant rares sont ceux qui auraient cru que cet artiste ait la foi. Pourtant sa dévotion semblait réelle. Ses journaux intimes, publiés en 1990, révèlent la part importante de la spiritualité chrétienne dans sa vie, bien que son rapport à la religion fusse parfois ambivalent, comme en témoigne sa série de “punching-bags Jesus” réalisée avec Jean-Michel Basquiat. La figure de Jésus y est représentée sur plusieurs sacs de frappe de boxe, avec écrit dessus “Judge”. Ce qui peut dénoter une certaine culpabilité ou une prise de conscience violente, ou bien dénoncer la violence vis-à-vis du Christ de son époque. L’art peut tout se permettre. Cette oeuvre sera-t-elle aussi montrée au Vatican ?
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Entre sa fréquentation de l’église Saint Vincent Ferrer de New-York et ses soirées passées à aider les sans-abris du refuge de l’église du Repos céleste, Andy Warhol pratiquait sa foi dans le secret, après une conversion survenue sur le tard. L’artiste décadent s’était dévoilé à ce sujet à son ami historien d’art et biographe de Picasso, John Richardson, qui a révélé le premier sa démarche spirituelle après sa mort. Lors de son éloge funèbre en 1987 pour “rappeler un côté du caractère de Warhol qu’il a caché à tous, sauf à ses amis les plus proches : son côté spirituel”.
Plus encore, il voulait en limiter les soupçons quand il déclarait : “Ceux qui l’ont connu dans des circonstances qui étaient l’antithèse du spirituel peuvent être surpris qu’un tel côté existe. Mais ça existe, et c’est la clef de la psyché de l’artiste”. Il ajoute même qu’il “était fier de financer les études de son neveu pour le sacerdoce. La connaissance de cette piété secrète change inévitablement notre perception d’un artiste qui a trompé le monde en lui faisant croire que ses seules obsessions étaient l’argent, la gloire, le glamour…” Quand on lui demandait pourtant en 1975 s’il était allé à la messe ce jour-là, il avait répondu par l’affirmative, ajoutant qu’il prenait parfois la communion, “même si je ne sens jamais que je fais quelque chose de mal”. Aurait-on donc fermé les yeux sur sa foi ?
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Andy Warhol et la spiritualité
Ses œuvres inspirées du religieux, elles, n’ont jamais été cachées. La plus probante est sans doute la reproduction de La Cène de Léonard de Vinci, en 1986, un an avant sa mort. Elle sera l’une des pièces maîtresses de l’exposition. Dans une série de gravures sur le thème de la Renaissance, réalisées en 1984, Warhol s’inspire à nouveau d’une oeuvre religieuse du peintre italien : L’Annonciation. Il y choisit un détail fort, “la main sûre et calme de l’ange et le geste de recul de la Vierge, qui caractérise la connexion vitale et miraculeuse de la scène”, explique The Art Newspaper. Sa série basée sur une croix en bois, dans laquelle il se lance au début des années 1980, sera aussi à l’honneur. Il décline la croix du Christ en la plaçant sur différents tableaux et visuels, de sorte que le spectateur s’interroge sur ce symbole de la crucifixion, voire qu’il se sente lui-même crucifié. Certaines étaient d’ailleurs dessinées à taille humaine sur une toile. Lors d’une exposition à Madrid en 1982, il les a exposées aux côtés d’une série de couteaux et de pistolets, de manière révélatrice.
Éduqué dans une famille catholique byzantine slovaque, l’influence orthodoxe d’Andy Wahrol se retrouve dans sa création par la récurrence des icônes. Elle explique sans doute son penchant pour les séries car l’occurrence des répétitions est très présente dans les rituels orthodoxes. Selon la romancière Jeanette Winterson, auteur d’un essai sur l’artiste, “la répétition a aussi un élément religieux”. Elle assure que “Warhol était un catholique pieux, bien que de manière excentrique” et ajoute que “le chapelet est répétition, la liturgie est répétition, l’iconographie visuelle de l’Église catholique est répétition”.