La Saint-Valentin et son cortège de restaurants gastronomiques et autres chocolats aux packagings roses, est télescopée par le jeûne du Mercredi des cendres… Pour les évêques de France en tout cas, le gagnant du match ne fait aucun doute : le Mercredi des cendres, on jeûne ! Comme le commente sobrement le père Bruno Mary, directeur du Service national de la pastorale liturgique : "Je n'ai entendu parler d'aucune suspension de jeûne pour les couples en France". Pourtant, les évêques auraient pu théoriquement exempter les fidèles, il y a des précédents.
Fête du Têt et Saint-Patrick
Il arrive en effet que le jeûne du Mercredi des cendres soit suspendu par une fête d'importance nationale. Plusieurs évêques irlandais et américains prennent l'initiative de suspendre le jeûne si sa date coïncide avec celle de la Saint-Patrick, grande fête nationale qui réunit tous les Irlandais et descendants d'Irlandais aux États-Unis. À l'autre bout du monde, en Asie orientale, la même décision est prise quand le Mercredi des cendres se dispute l'affiche avec la fête du Têt. Plus insolite, les Mongols chrétiens assaisonnaient en 2017 leurs Cendres de viandes et de vodkas, pour la fête de la Lune blanche, un évènement immanquable !
Le père Gilles Drouin, prêtre chargé d'enseignement au séminaire d'Issy-les-Moulineaux, justifie ces décisions d'exemptions de jeûnes : elles interviennent dans des cas particuliers, où les fêtes revêtent une telle importance que l'on exclurait les chrétiens en leur imposant le jeûne pendant que tout le pays festoie !
Le Carême reprend des couleurs
Mais s'il est inenvisageable de soumettre un chrétien asiatique au jeûne pendant la fête du Têt, il est tout aussi inenvisageable, aux yeux du père Gilles Drouin, de risquer d'atténuer le succès du Carême en France. "Avec mes confrères prêtres, nous constatons que le Carême est à nouveau plébiscité par les chrétiens. Nous avons, par exemple à Palaiseau, multiplié par deux le nombre de célébrations du Mercredi des cendres, en quatre ans", témoigne-t-il.
D'une façon surprenante, le jeûne reprend aussi ses droits dans le quotidien des catholiques Français. Théologiquement, cela peut s'expliquer par la valorisation d'une sobriété heureuse, exprimée par le pape François dans son encyclique, Laudato Si. Et le phénomène a aussi des causes sociales, il n'y a pas que dans l'Église que la sobriété est à la mode, comme le démontre le succès du documentaire d'Arte "le jeûne une nouvelle thérapie". Enfin, le père Gilles Drouin analyse que la pratique très médiatisée du Ramadan par les musulmans influence certainement les chrétiens.
L'Église aime la Saint-Valentin
N'allez pas en déduire pour autant une opposition de l’Église à la fête de la Saint-Valentin ! Alors que le plus souvent, ce sont les fêtes chrétiennes qui deviennent des fêtes commerciales, la Saint-Valentin est un succès commercial qui a été repris récemment par l'Église de France, pour célébrer l'amour humain. "C'est une excellente démarche, apprécie le père Gilles Drouin, mais elle ne peut pas prendre le pas sur le calendrier liturgique ! Le calendrier liturgique, rappelle le prêtre, c'est le mystère pascal déployé dans le temps".
En fin de compte, les deux fêtes ne sont pas aussi incompatibles qu'il y paraît, tout dépend de la façon de fêter la Saint-Valentin. À l'occasion du Mercredi des Cendres, le prêtre encourage les couples à prendre une journée de RTT, pour un temps de retraite à deux. "Je suis heureusement surpris du succès de ce genre de démarches, les couples chrétiens sont en demande de ce qui peut les rattacher à l'essentiel… Voilà un type de Saint-Valentin et de Mercredi des Cendres qui fonctionnent très bien ensemble" conclut le père Gilles Drouin.