Le médecin qui accompagne son patient au seuil de sa mort vit et prend des risques avec lui. Le soin médical est toujours une relation à deux. Témoignage.Comme une vague qui inlassablement revient sur le rivage, trois nouveaux projets de loi sur l’euthanasie viennent de s’échouer sur les bureaux de l’Assemblée nationale. L’encre des précédentes discussions sur le sujet n’est pas sèche. Elles ont duré quatre longues années pour aboutir à une loi dont les recommandations d’application n’ont même pas encore été publiées et déjà l’on nous convoque pour réfléchir à la suivante.
Vendredi matin, un interviewer pugnace, d’aucuns diraient agressif, relançait le sujet : “Vous accompagnez les patients et, s’ils vous demandent d’aller jusqu’au bout, vous n’allez pas les laisser tomber. C’est votre travail de médecin, je ne vois pas où est le problème !” Il l’a répété plusieurs fois, il ne voyait vraiment pas.
Ce monsieur a-t-il déjà essayé de chloroformer ses chatons ?
Car moi, je vois bien déjà une partie du problème.
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Pour chacun de mes patients parler de sa souffrance, de son angoisse, de sa mort, c’est difficile. Très difficile. La parole vient lentement, durement. Elle se noie de larmes et s’étouffe de sanglots.
Alors j’écoute. Avec les oreilles bien sûr, mais aussi avec les yeux pour mieux entendre ce qui ne peut pas se dire, avec les mains pour toucher du doigt la douleur et le mal, avec ma voix pour relancer d’une question les mots qui s’étranglent, avec mon corps tendu qui jamais ne se relâche pour ne pas renvoyer à la solitude de ma lassitude celui qui me fait face et qui, au prix d’efforts que je ne peux qu’imaginer, exprime ses peurs les plus profondes.
Je dois à celui qui souffre et qui me fait confiance cette attention, cette tension.
De ces consultations je sors toujours épuisée.
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Alors, si je devais ensuite en point final de ces conversations, même si on me le demandait, tuer celui qui m’a parlé : préparer la seringue, entrer dans la chambre, dire un mot (et lequel d’ailleurs ?), injecter les produits, recueillir le dernier soupir, consoler la famille et signer le certificat ; alors je crois que, moi aussi, je mourrais.
Le médecin en moi mourrait.
Car comment ensuite prendre à nouveau le risque d’écouter vraiment ?
Comment ne pas devenir alors un gigantesque cimetière, une nécropole de champs de bataille ? Je ne veux pas devenir un monument aux morts.
J’accompagne des vivants qui n’ont que faire d’un médecin qui serait mort à l’intérieur.