L’évocation de cette expression nous replonge, peut-être avec une certaine nostalgie, dans nos jeunes années d’école alors que nous apprenions la fable du même nom de Jean de La Fontaine (Livre V, fable 2, édité pour la première fois en 1668). Le poète raconte l’histoire d’un pot de terre qui, cheminant à côté d’un pot de fer, ne fait pas cent pas avant d’être malencontreusement réduit en éclats par son solide compagnon.
La Fontaine n’est cependant pas le premier à avoir employé l’expression. Bien avant lui, Esope (VIe siècle av. J.-C.) mettait déjà en scène un pot de terre et un pot de cuivre dans sa fable Les pots. Mais l’expression telle que nous la connaissons aujourd’hui nous vient en fait du livre de Ben Sira le Sage, le plus long des livres sapientiaux de l’Ancien Testament.
"Ne te charge pas d’un fardeau trop pesant, ne t’associe pas à plus fort ou plus riche que toi. Comment au pot de terre associer le pot de fer ? Au premier choc, celui-là se brise." (Si 13, 2)
L’image du pot de fer et du pot de terre nous appelle à la prudence en nous conseillant de nous associer qu’avec nos égaux afin de respecter l’équilibre des forces. En effet, si ce rapport de force se révèle trop inégal, nous risquons fort de compromettre notre indépendance ou notre sécurité comme le pauvre pot de terre ! L’expression s’utilise aussi pour parler d’une personne sans appui qui a un démêlé avec un homme puissant.
Un livre à l’histoire mouvementée
Connu sous plusieurs appellations : Sagesse de Ben Sira, Siracide, ou encore Livre de l’Ecclésiastique* pour la version latine, le Livre de Ben Sira Le Sage a une histoire pour le moins mouvementée. Écrit en hébreu entre -190 et -170 av. J.-C., il doit son nom à son auteur Jésus Ben Sira, érudit juif, qui y développe plusieurs thèmes comme la louange de Dieu, les relations avec ceux qui nous entourent, la générosité… et invite ses contemporains à mener une vie conforme à la Loi et dans la recherche de la Sagesse.
Le Livre sera traduit en grec quelques dizaines d’années plus tard par le petit-fils même de Ben Sira. Cette traduction grecque fut longtemps le seul texte connu du Siracide, la version en hébreu ayant disparu pendant plusieurs siècles. C’est pourquoi, au moment où les Juifs arrêtent le canon des écritures, écartant tous les textes non écrits en hébreu, le Siracide n’est pas intégré dans la Bible hébraïque. Ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle que l’on retrouve des fragments de la version originale au Caire, puis dans les années 50 et 60 à Qumrân (avec la découverte des manuscrits de la Mer Morte) et Massada.
Comme les juifs, les protestants considèrent le Livre de Ben Sira le Sage comme apocryphe, alors que les Églises catholique et orthodoxe l’incluent dans l’Ancien Testament, il fait partie des livres dits deutérocanoniques (du grec deuteros = secondaire) c’est-à-dire « admis dans le canon dans un deuxième temps » par opposition aux livres protocanoniques admis par tous.
* ne pas confondre avec l’Ecclésiaste (ou Qohélet), autre livre de sagesse de l’Ancien Testament.