Depuis quatre ans, les chrétiens d’Irak opèrent une véritable offensive éducative. La ville de Kirkouk tâche de montrer l’exemple. Un reportage depuis l’Irak par Maxime Dalle.
Kirkouk est une métropole composite de plus d’un million d’âmes. Il y a des Turkmènes, des Kakaï, des Kurdes, des chrétiens, des yézidis mais aussi des sunnites installés par Saddam Hussein pour arabiser la ville. Une salade composée qu’il faut rendre, après la zizanie semée par l’État islamique, à nouveau digeste. D’autant plus que c’est une terre riche en gaz et en pétrole — elle fournit 40% du pétrole irakien et 60% du gaz — d’où une tension palpable et continue. Mgr Yousif Thomas Mirkis, archevêque du lieu, soutient l’éclosion d’écoles chrétiennes ouvertes à toutes les communautés.
L’école Mariamana, Notre Mère Marie en turkmène, a ouvert ses portes il y a un peu plus de quatre ans. Elle accueille une centaine d’élèves, tous en uniforme, qui ne rechignent pas à se mettre debout pour accueillir leur professeur. Pourquoi un uniforme ? La directrice de l’établissement s’en explique : « Il permet d’effacer les différences sociales et communautaires. C’est essentiel pour la sérénité de l’enseignement. » Qu’ils soient chrétiens ou musulmans – il y a deux tiers de mahométans et un tiers de chrétiens —, les jeunes élèves arborent le visage de la paix. Le risque de « l’après Daesh » serait une tendance à une communautarisation hermétique. Les Kurdes dans des écoles kurdes, les sunnites dans des écoles sunnites et les chrétiens dans des écoles chrétiennes.
Briser les murs communautaires
L’école Mariamana s’évertue à briser ces murs communautaires. Elle est reconnue par le gouvernorat de Kirkouk comme étant la meilleure école de la ville. Ici, se rencontrent des familles chrétiennes, musulmanes, kurdes et turkmènes. Les élèves et leurs parents se croisent aussi bien dans les sorties scolaires qu’aux fêtes de l’école. Les professeurs et le clergé en sont convaincus. La paix et la confiance se tissent dès l’enfance par des amitiés d’école.
Mariamana inculque des valeurs qui dépassent les acquis du clan. Le prêtre qui est responsable de l’école exhorte les familles à dépasser le repli tribal : « Aidez-nous à sortir vos enfants du tribalisme. Les malheurs viennent des exacerbations communautaires inspirées par Daesh ! » L’enjeu est de créer, à nouveau, une unité nationale irakienne.
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Partons maintenant dans la banlieue nord de Kirkouk, en plein quartier chrétien. Sur un terrain vague, cinquante ouvriers s’activent sur un immense chantier. Mgr Mirkis y édifie une école internationale et un imposant centre paroissial diocésain. Le futur établissement propose une vue imprenable sur Kirkouk. Au loin, on distingue les fameuses torche-air de pétrole. Depuis deux ans, les chrétiens se mobilisent pour asseoir l’influence éducative de l’ééglise à Kirkouk et en Irak. « L’éducation, la culture, les livres, les services de santé, les chrétiens ont toujours su faire cela en Irak. Se pencher sur l’homme, c’est un peu notre vocation de catholique. Le Christ était un maître et un guérisseur ! », s’exclame Mgr Mirkis.
Faire éclore des écoles chrétiennes
L’association Fraternité en Irak aide l’Église locale à jouer ce rôle de passeur. Elle a financé les fondations du chantier et n’hésite pas à soutenir l’éclosion de petites écoles dans le Kurdistan irakien. Dans la ville de Sherka, plus de huit-cents familles yézidies attendaient depuis quelques années un établissement pour leurs petits bambins. C’est chose faite depuis deux semaines.
Le père Gabriel, figure du clergé local, a accompagné ce projet d’école gouvernementale depuis le départ. À quelques kilomètres de Sherka, il y a l’école de Bozan. Plus de deux-cents-vingt élèves âgés de quatre à sept ans s’y côtoient. Elle accueille depuis trois ans des réfugiés yézidis venus du Mont Sinjar pendant la guerre contre Daesh. Toute cette jeunesse réinvestit les bancs de l’école. Ils ont soif d’occupations ludiques, d’apprentissage. Il faut apprendre à dépasser les horreurs vécues.
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Partout en Irak, les chrétiens sèment des graines d’écoles mais pas uniquement. Des églises, des monastères, des séminaires sont édifiés et rénovés. Dans la ville de Qaraqosh, un large bâtiment vient d’être remis à neuf pour accueillir les prétendants au sacerdoce. Progressivement, les chrétiens reprennent le chemin de l’église et des sacrements. Nous partirons la semaine prochaine à la rencontre de ces fervents et courageux paroissiens qui ont été marqués au fer rouge par cette interpellation de Tertullien : « Le sang des martyrs est semence de chrétiens. »