Jean Passini, chef d’entreprise et membre du mouvement des Entrepreneurs et dirigeants chrétiens (EDC) décrypte l’accord obtenu au niveau européen pour égaliser les salaires entre travailleurs détachés et nationaux.La France est parvenue mardi 22 octobre à un accord avec 21 de ses 28 partenaires européens pour que les travailleurs détachés puissent percevoir d’ici à 2022 « un salaire égal, à travail égal, sur le même lieu de travail », que les salariés locaux. Jean Passini, président de SNA, une entreprise de BTP qui emploie 150 personnes, et membre des EDC (Entrepreneurs et dirigeants chrétiens) décrypte avec Aleteia cet accord.
Aleteia : La France a obtenu de nouvelles règles sur le statut des travailleurs détachés. Qu’en pensez-vous ?
Jean Passini : La loi dispose déjà que les conditions de travail entre les détachés et les nationaux soient similaires. Il existe déjà un salaire horaire identique. Mais en réalité, la directive en place n’était pas assez respectée. Ce qu’a fait Emmanuel Macron a permis de porter à la connaissance du plus grand nombre ce qui existait déjà. Il a obtenu en plus que tous « les à-côtés » de la rémunération qui créent une différence de salaire, primes, 13e mois, etc, et donc à l’origine d’une concurrence déloyale, soient les mêmes pour tous les travailleurs. C’était absolument indispensable. Pour la dignité des travailleurs d’une part. Et parce il fallait combattre cette concurrence déloyale entre travailleurs d’autre part. Il n’y a pas concurrence déloyale que pour l’entreprise, mais aussi pour les salariés. Aujourd’hui, les conditions de travail des travailleurs détachés sont très différentes de celles des travailleurs français. Les nombreux détournements de la loi étaient déplorables, il n’y a aucune raison que les conditions de travail soient différentes selon l’origine des travailleurs.
Les charges sociales resteront pourtant payées dans les pays d’origine des travailleurs ?
Nous ne pouvons guère faire mieux. Il suffit de se projeter dans l’autre sens pour comprendre. Imaginons qu’un salarié d’une entreprise française soit détaché dans un pays étranger. On le voit mal cotiser pour une autre caisse que la nôtre. Là il n’y a pas d’autres choses à faire que de laisser les travailleurs détachés cotiser à leur caisse nationale. Mais comme tous les autres éléments d’un salaire seront désormais homogénéisé, cela devrait déjà permettre de réduire la différence de coûts de la main d’œuvre. Et il sera possible de réduire un peu plus les écarts de coûts quand nous parlerons d’Europe sociale. Si vous voulez, dans la mesure où un travailleur détaché a aussi des frais de déplacement que n’a pas le travailleur français, cela crée des surcoûts. Il faut que cela soit compensé par la différence des charges sociales. Lorsque nous faisons vraiment les calculs, en respectant parfaitement la loi, nous minimisons les écarts financiers.
Le maintien de la directive des travailleurs détachés ne risquent-ils pas de continuer à accentuer la concurrence sur le marché de l’emploi ?
Si la règle fixée est respectée, financièrement non. Après, il y a la question des compétences, de la motivation. Il est parfois difficile de trouver du personnel en France aujourd’hui. C’est peut-être cela qui conduit des chefs d’entreprises à solliciter des travailleurs détachés. Si c’est cela, ce n’est pas particulièrement choquant. En tant qu’entrepreneur chrétien, je considère qu’il n’y a pas de jugement à porter sur le fait de fournir du travail à un ouvrier qui vient d’un pays étranger, plutôt qu’à un ouvrier français, dès l’instant qu’il n’y a aucun profit réalisé sur des taux horaires. Tout le monde a le droit à un travail, surtout que nous sommes sur un marché européen. Ce qui était choquant, c’est que cela se fasse au nom d’une rentabilité financière primaire.
Vous êtes entrepreneur dans le BTP, un secteur réputé pour solliciter volontiers des travailleurs détachés….
Dans mon entreprise je n’utilise pas de travailleurs détachés. Mais ce qui est vrai c’est que dans ce secteur, avec l’arrivée de travailleurs détachés nous avons assisté à une régression comme nous n’en avions pas vécu depuis longtemps. Ils étaient présents temporairement sur notre sol, ce qui n’était pas le cas auparavant quand les travailleurs venus de l’étranger cherchaient à s’intégrer. Cela s’est traduit par des problèmes de compréhension sur les chantiers, car ils ne connaissaient pas la langue. Ils vivaient pour certains dans des conditions que nous n’avions plus vu en France depuis des décennies. Après avoir fait des efforts considérables, en particulier dans nos métiers, sur l’hygiène, la sécurité, etc., nous régressions totalement de ce point de vue-là, car il était possible de détourner la loi.
Un secteur a été exempté par l’accord européen, le transport routier. Pourquoi selon vous ?
Je ne suis pas routier, mais j’ai cru comprendre qu’Emmanuel Macron souhaitait traiter ce secteur dans un pacte mobilité plus général. Je pense que c’est plus complexe, puisque les poids lourds se déplacent.