Axelle Huber, dont le mari est décédé à cause de la maladie de Charcot, souhaite faire entendre une autre voix sur l’euthanasie que celle d’Anne Bert, écrivain atteinte de la même maladie qui a décidé de s’exiler en Belgique pour être euthanasiée.
Professeur d’histoire-géographie en Île-de-France et mère de quatre enfants, Axelle Huber a perdu son mari Léonard, atteint de la maladie de Charcot. Ce mal entraîne une paralysie générale. Elle a raconté son combat de quatre ans contre la maladie dans Si je ne peux plus marcher, je courrai !, publié en 2016 chez Mame. Opposée à l’euthanasie, elle a émis le désir de répondre à Anne Bert, écrivain atteinte de la même maladie que son défunt mari et qui a fait savoir dans les médias qu’elle s’exilait en Belgique afin de mettre fin à ses jours.
Aleteia : Vous venez d’interpeler Léa Salamé sur les réseaux sociaux afin de faire entendre, dans son émission avec Nicolas Demorand sur France inter, “une autre voix sur l’euthanasie” que celle d’Anne Bert. Quel est le but de votre démarche ?
Axelle Huber : Anne Bert est atteinte de Sclérose latérale amyotrophique (SLA) plus communément appelée maladie de Charcot. C’était aussi le cas de mon mari Léonard qui en est mort en 2013 à 41 ans. Cette maladie est classée par l’OMS comme une des pires maladies. Anne Bert a écrit un livre et a exprimé publiquement sa demande d’être euthanasiée. Je voudrais lui dire toute ma profonde compassion. À chaque fois que j’apprends un nouveau cas de SLA, que je rencontre un patient atteint par cette terrible maladie, mon cœur se serre. Si vous saviez comme je souhaite que la médecine trouve comment guérir cette maladie neurologique qui vous enferme dans un corps qui ne répond plus.
Anne Bert a été reçue par Léa Salamé sur France Inter. J’ai donc interpellé Léa Salamé sur les réseaux sociaux pour être entendue à mon tour. En effet, je souhaite partager mon propre témoignage de l’épreuve de la maladie, du handicap, de l’agonie et de la mort naturelle de Léonard et donner mon avis sur une légalisation de l’euthanasie. J’ai accompagné Léonard durant ses quatre années de maladie, alors que nos quatre enfants étaient encore bien jeunes (l’aînée n’avait que neuf ans), j’ai raconté notre histoire dans ce livre, Si je ne peux plus marcher, je courrai !, préfacé par Philippe Pozzo di Borgo [dont l’histoire a été popularisée par le film Intouchables, ndlr] . Je pense être légitime pour faire entendre, sans angélisme, cette voix de Léonard qui s’est tue à jamais mais dont je suis sûre de me faire l’écho. Notre expérience est une autre voie que celle de l’euthanasie. Ma démarche s’inscrit donc dans une volonté d’avoir un débat démocratique afin que toutes les opinions puissent s’exprimer.
Anne Bert explique son choix dans un livre, Le tout dernier été, qui paraîtra après sa mort. Que répondre à cette femme qui visiblement ne supporte plus sa souffrance ? Est-il vraiment possible de se mettre à sa place ?
Je ne cherche pas à me mettre à sa place, comme je n’ai pas cherché à me mettre à la place de Léonard et en aucun cas je ne me permettrai de la juger. Bien évidemment il faut entendre son cri de souffrance. Mais je ne crois pas que légaliser l’euthanasie en France soit une bonne solution. Je suis opposée en revanche à toute forme d’acharnement thérapeutique. Je crois aux soins palliatifs.
La question que nous devons nous poser est comment répondre à cette souffrance ? Pour répondre à cette souffrance physique et psychologique, indéniables, je préfère que notre société mette l’accent sur les soins palliatifs plutôt que sur l’euthanasie. Il est essentiel de tout mettre en œuvre pour que la souffrance physique soit traitée, calmée, prise en charge. D’un point de vue psychologique, je crois qu’au fond beaucoup de malades en souffrance, demandeurs de l’euthanasie, ont peur de la souffrance et peur de la solitude, de ne pas être assez accompagnés, assez aimés jusqu’au bout. Et cela est bien sûr plus que légitime.
Cela demande aussi du temps, du courage que de prendre soin du malade jusqu’au bout et de l’aider à accepter cette mort qui vient. Les derniers jours, les dernières semaines des malades, sont des moments importants pour apprivoiser la mort, pour échanger avec ceux qui restent. Je suis convaincue que ces mots : je t’aime, merci, pardon, et tout ce qui appartient à l’histoire de la personne malade et de ses proches ne pourraient être dit de la même manière si l’heure de la mort était sue, définie, arrêtée.
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J’ai vécu l’agonie de Léonard, sans fards, dans une terrible souffrance comme dans une joie profonde. Tristesse et joie sont à priori deux termes ambivalents, mais pourtant très présents et reliés. Tristesse devant cette souffrance, l’absence à venir mais aussi joie profonde d’être à ma place, ici et maintenant, à lui tenir la main. J’ai pu échanger cette dernière demande en mariage autour de son lit de mourant [depuis leur mariage, les deux amoureux se formulaient régulièrement de nouvelles demandes en mariage, ndlr]. Je sens très profondément que cela n’aurait pas été aussi beau et naturel si Léonard avait été euthanasié. Mes mots sont maladroits mais j’aurai ressenti comme une contradiction de lui dire : je t’aime mais je ne t’aime pas assez pour supporter ces derniers jours, cette déchéance encore à venir. Et si lui n’avait pas accepté de se laisser aimer jusqu’au bout de sa nudité, pauvreté, je n’aurai pas non plus reçu sa dernière demande en mariage comme je l’ai reçue, dans un tel souffle d’amour.
Je rends hommage à l’équipe médicale de Léonard qui, à défaut de pouvoir encore le soigner si ce n’est le guérir, a pris soin de lui jusqu’au bout, en le massant, le regardant dans son dénuement le plus total et sa maigreur féroce. Je rends hommage au médecin qui a su prendre le temps et la délicatesse de nous préparer à accepter la mort qui rodait.
Si nous légalisons l’euthanasie en France, le signal que nous envoyons à beaucoup de personnes serait que notre société n’est pas prête à prendre part à leurs souffrances et qu’il vaut mieux les abréger. Et que dire des dérives inhérentes à une telle loi : quels critères retenir pour accéder ou non à la demande d’un patient demandant l’euthanasie ? Qui sera son porte parole s’il ne peut communiquer en aucune manière ou qu’il est inconscient ?
Une société qui accepte de rentrer dans ce « permis de tuer et d’être tué », quoique au nom de la compassion, ne correspond pas à mon attente d’une civilisation de l’amour que je souhaite que nous construisions tous ensemble. Je voudrais dire un mot aussi pour les aidants familiaux, c’est-à-dire les proches de personnes atteintes par de telles maladies. Eux aussi ont besoin d’être aidés, soutenus, entendus, car eux aussi ont une place qui est difficile.
Est-il encore sérieusement raisonnable de penser pouvoir réguler l’euthanasie dans un monde où les frontières tendent à s’effacer, avec d’autres pays qui légalisent ce type de pratique ?
Bien évidemment la question de l’euthanasie est difficile et compliquée car la souffrance est difficile à accepter. Oui cela me semble sérieusement raisonnable de garder la main en France sur cette question. Oui cela me semble important de ne pas se laisser dicter nos lois par les choix des voisins ou par une prétendue hypocrisie que serait celle de laisser ses compatriotes partir à l’étranger pour avoir accès à ce qui est interdit en France. Cela relève de la liberté des personnes. C’est un argument fallacieux et sophiste que de prétendre faire adopter des lois dans son pays sous prétexte qu’elles existent chez certains voisins. Je reviens à ce que je disais tout à l’heure : quelle société voulons-nous ?
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Comment réussir à garder de l’espérance dans une situation aussi difficile que celle de votre mari avant son décès ?
Je ne vais pas vous mentir : ce fut dur, rude, décapant. Je ne veux pas faire d’angélisme. Évidemment de telles épreuves sont terribles. Mais malgré tout la petite fille espérance de Péguy, se tapit et demeure. La flamme dans nos yeux vacillait mais ne chancelait pas. Léonard a eu la grâce de rester un homme debout dans sa foi, sa charité, son espérance alors même qu’il était enchaîné dans ce fauteuil ou qu’il gisait sur ce lit d’hôpital.
Nous avons tenté de continuer à vivre le présent, de cueillir les 1001 joies du quotidien (une belle lumière, les jeux et éclats de rires des enfants, une main tendue, un bon petit plat, …) sans s’inquiéter du lendemain. Nous gardions dans nos esprits et nos cœurs cette parole entendue bien avant la maladie : « J’ai beaucoup souffert de maux qui ne me sont jamais arrivés ». Au début la maladie laissait encore des libertés et peu à peu elle a pris sa mobilité, sa voix, sa déglutition à Léonard et pour finir sa respiration… Nous espérions qu’elle ne nous prenne ni notre amour ni notre foi. Alors il a fallu sauter à pieds joints dans l’espérance. Garder l’espérance dans une telle situation ce fut aussi garder la foi dans la Résurrection et de se dire que nous nous retrouverions tous ensemble un jour auprès du Père de miséricorde. L’absence physique de mon chéri est cruelle et crucifiante et je me serai bien passée de cette épreuve. Pourtant je veux vous dire, je dois vous dire honnêtement que j’en ressors grandie.
On continue !
Propos recueillis par Kévin Boucaud-Victoire.