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20 ans après la mort de Jeanne Calment : quel regard sur le rêve transhumaniste d’immortalité ?

CLEMENT
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Kévin Boucaud-Victoire - publié le 04/08/17
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Le 4 août 1997 décédait Jeanne Calment à 122 ans, devenant l’être humain ayant vécu le plus longtemps parmi les personnes dont la date de naissance est certifiée. Vingt ans plus tard, les transhumanistes nous promettent de vaincre très prochainement la mort. Quel regard porter sur ce phénomène en tant que chrétien ?Née le 21 février 1875, à Arles dans les Bouches-du-Rhône (13), Jeanne Louise Calment devient à 111 ans, le 20 juin 1986 la doyenne des Français, puis du monde un an et demi plus tard, le 11 janvier 1988. Décédée le 4 août 1997, à Arles, elle est devenue à l’âge de 122 ans, 5 mois et 14 jours (soit 44 760 jours) l’être humain ayant vécu le plus longtemps parmi les personnes dont la date de naissance est certifiée. Si le Bolivien Carmelo Flores Laura, décédé le 9 juin 2014, affirme en 2013 avoir atteint 123 ans, sa date de naissance n’est pas prouvée. Le record de Jeanne Calment tient donc toujours officiellement, mais pour combien de temps ? Aujourd’hui, dans la Silicon Valley, capitale californienne du numérique, et un peu partout dans le monde, des intellectuels et des scientifiques affirment que la mort est sur le point d’être repoussée, voire vaincue.

Scénario de science-fiction ? En tout cas, les avocats du transhumanisme, pensent qu’en créant une « posthumanité », c’est-à-dire un homme augmenté par la technologie, nous vivrons bientôt durant des siècles. Dans les religions monothéistes, la mort et la limitation de la durée de vie potentielle de l’homme sont des sentences divines. Alors que penser en tant que chrétien du transhumanisme ? Pour répondre à cette question, nous avons rencontré Paul Piccarreta, journaliste indépendant diplômé en philosophie et directeur de la revue d’écologie intégrale d’inspiration chrétienne Limite.

Aleteia : Jeanne Calment s’est éteinte le 4 août 1997, à l’âge de 122 ans. À ce jour, l’ancienne doyenne des Français demeure la personne ayant vécu le plus longtemps sur terre. Or, aujourd’hui, des gens comme Laurent Alexandre, chirurgien de formation et fondateur du site Doctissimo, n’hésitent pas à déclarer que « l’homme qui vivra 1 000 ans est déjà né ». Que penser de ce type de déclaration ? Sommes-nous sur le point de vaincre la mort ?
Paul Piccarreta : Laurent Alexandre est un mania de ce genre de formule. C’est moins par des thèses sérieuses et un travail de recherche minimal que par des conférences TED et des grandes déclarations médiatiques qu’il s’est fait connaître.

Peut-on vaincre la mort ? Autrement dit, peut-on maintenir un organisme vivant indéfiniment ? La réponse est en quelque sorte dans la question. Si on pouvait « vaincre la mort », ce ne serait plus la mort que nous aurions vaincu, mais quelque chose d’autre, puisque par définition la mort est un terme auquel personne n’échappe. Autrement dit, vous pouvez allonger la durée de vie en repoussant toutes les maladies, doper les organismes pour qu’ils s’étirent plus longtemps ; pourquoi pas mille ans, mais précisément, vous ne faites que repousser la question de la fin et du terme.

À un moment donné, il faudra mourir ! Et cela ne règle absolument pas la question de savoir quelle vie vous aurez eu. Des enfants de 7 ou 8 ans traversent l’épreuve de la maladie et finissent par en mourir. On peut croire qu’ils auront eu une expérience de la vie très dense. A contrario, on peut supposer que la parodie d’humain que nous propose le docteur Laurent Alexandre serait incapable de cette densité-là, parce qu’il n’aura jamais connu la violence du don ou la beauté du courage. À quoi juge-t-on la qualité d’une vie ? C’est la seule question qu’il faudrait se poser.

« Car tu es poussière, et à la poussière tu retourneras » (Genèse 3, 19) est la sentence prononcée par Dieu dans la Genèse, après la désobéissance de l’homme. Un peu plus loin, il restreint sa vie à cent vingt ans (Genèse 6, 3). Que penser d’un point de vue chrétien de ces personnes qui travaillent à repousser l’âge de la mort ?
Abraham aurait vécu 170 ans. Et Melchisédech, que certains disent être le fils de Noé, 610 ans. Le cyborg, lui, n’a pas d’âge. Pas de lignée, pas de descendance. Ce qui lui importe n’est pas tant sa durée de vie, au fond, que sa fonctionnalité immédiate. Sa durée est précisément ce qui le met en danger, car le cyborg doit lutter contre l’obsolescence de sa gamme et sans cesse se renouveler. Que je me fasse comprendre : si un cyborg n’a pas vraiment d’âge et ne connaît pas les différentes étapes de la vie, c’est qu’il n’a qu’une seule fonction : l’utilité. Les transhumanistes veulent tout simplement fabriquer un homme de rechange sur le modèle des marchandises de série.

Pour répondre plus précisément à votre question, il faudrait dire que le chrétien doit pouvoir analyser à la fois les structures de péché dans leur ensemble, c’est-à-dire comprendre comment fonctionne le système technologique dans les grandes lignes, mais aussi sortir de l’idée que le processus technologique est sans sujet, qu’il serait mû par des mécanismes automatiques ou par la seule « force des choses ». Car ce dernier a bien sûr une classe de « décideurs ». Ne pas se tromper d’adversaire me semble une bonne chose pour vivre une vie authentiquement chrétienne.

S’il réussit à repousser l’âge de la mort, le transhumanisme remettrait-il en question définitivement le dogme chrétien ?
Repousser n’est pas abolir. Mais sur ce sujet, je ne peux que vous conseiller l’excellent roman du philosophe Gustave Thibon Vous serez comme des dieux. Le paysan ardéchois imagine un monde où les scientifiques auraient aboli définitivement la mort. La conséquence immédiate pour Amanda et son fiancé est que, soudainement, l’un est l’autre ne peuvent plus s’aimer. En tuant la mort, jurent les apprentis sorciers à la jeune Amanda, ils auraient abattu un mur. L’amour serait enfin éternel. Mais l’héroïne se demande s’ils n’auraient pas plutôt muré une porte. Car son rêve n’est pas de vivre sempiternellement aux côté de son bien aimé, mais de mourir pour lui s’il le fallait. « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » dit le Christ (Jean 15, 13). Nous sommes devenus incapables de comprendre que le terme est ce qui fonde le commencement. Nous ne traversons l’étendue de la mer que dans l’espoir d’y trouver un rivage accueillant au bout.

L’ambition transhumaniste relève-t-elle de la « honte prométhéenne » telle qu’analysée par Günther Anders ?
Son concept de « honte prométhéenne » forgé dans son livre majeur L’Obsolescence de l’homme (1956) est évidemment à rapprocher de la question transhumaniste. Que dit-il ? Que l’homme, avec sa fragilité, son corps pesant et peu malléable n’est pas de taille à se mesurer à la perfection des machines. Il en résulte que, selon Anders, une honte s’empare de nous devant l’humiliante qualité des choses que nous avons nous-mêmes fabriquées. Et il faut bien reconnaître que face aux images véhiculées par l’industrie publicitaire, nos propres corps sont « en retard », jamais suffisamment lisses, ou jamais ajustés aux vêtements de série, aux voitures, aux gadgets, bref au monde-machine. Car contrairement à un lieu commun très répandu, les machines ne sont plus des moyens dont nous nous servons pour aménager le monde, mais ce sont bien plutôt nos corps et nos esprits qui se tordent et se désarticulent pour s’ajuster à elles. Fatalement, nous en venons à avoir honte de ce que nous sommes viscéralement, à savoir des « boulettes de terres sanguinolentes » pour reprendre l’expression d’Anders. On peut considérer que le projet transhumaniste est moins là pour augmenter l’homme que pour éviter sa diminution face au progrès croissant des technologies de pointe.

Mais peut-on se dérober au progrès technologique ?
On ne peut guère s’y dérober, pour la simple et bonne raison que la majeure partie des États soutiennent activement la recherche sur le développement des nanotechnologies au lieu de protéger les populations des risques liés aux nanoparticules, ravageuses pour l’environnement et la santé. En revanche, la tâche des journalistes, des enseignants etc. est peut-être d’informer le grand public que des technologies douces existent, moins polluantes et moins nocives, même si, il faut l’avouer, elles demeurent peu rentables pour les grandes entreprises. Enfin, chacun d’entre nous peut faire l’expérience, en famille ou entre amis, d’une vie simple sans tout l’attirail technologique, et trouver cette expérience suffisamment riche en elle-même.

Propos recueillis par Kévin Boucaud-Victoire. 



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