Député de la Martinique depuis 2012, Bruno Nestor Azerot se revendique de gauche et catholique, dans la tradition personnaliste d’Emmanuel Mounier. Il s’oppose, à ce titre, à la “marchandisation” de l’homme. Entretien avec un élu de convictions.Aleteia : L’Assemblée nationale a été considérablement renouvelée lors des législatives. Vous attendiez-vous à ce bouleversement ?
Bruno Nestor Azerot : On percevait sur le terrain qu’il y aurait un gros changement, mais quand même pas une vague aussi importante. J’ai longtemps été maire d’une grande commune, Sainte-Marie. Je voyais bien qu’il y avait une cassure entre le peuple et le gouvernement. Les “affaires”, à droite comme à gauche, ont nourri le désaveu des politiques. Les gens ont voulu tourner cette page. Ils ont choisi un homme jeune, Emmanuel Macron, qui a toujours prôné la proximité alors que trop d’élus ou de ministres sont inaccessibles.
Vous insistez sur la proximité. Le non-cumul des mandats ne va-t-il pas éloigner les députés de la population ?
Je le crains ! Je continue de penser qu’il serait bon de pouvoir exercer un mandat local en même temps qu’un mandat national. J’ai combattu la loi interdisant ce cumul pour une raison simple : c’est le terrain qui nourrit la réflexion. Un député qui n’exerce pas de mandat local est souvent considéré comme un apparatchik, l’homme (ou la femme) d’un parti dont dépend sa “carrière”. Je crains que cette loi ne creuse encore le fossé entre la population et les politiques.
D’autant plus que de nombreux députés n’ont aucune expérience…
En effet ! Le risque est qu’ils se conforment aux consignes de leur parti. On l’a d’ailleurs constaté lors des premiers votes… C’est d’autant plus dangereux qu’En Marche n’a cédé les présidences d’aucune commission à l’opposition, à l’exception de la commission des Finances. Il faut quand même faire une place à l’opposition pour nourrir le débat démocratique ! C’est un sujet de préoccupation pour beaucoup de députés.
Vous qui avez été maire, que pensez-vous de l’exonération annoncée de la taxe d’habitation, critiquée par de nombreux élus locaux ?
D’abord, je m’étonne que le premier ministre et le chef de l’État se soient publiquement contredits sur le calendrier de cette réforme. Ce manque de cohérence est très surprenant. Cela dit, j’approuve cette réforme, car la taxe d’habitation pèse lourd dans le budget de nombreux ménages. Encore faut-il que l’État compense intégralement le manque à gagner pour les communes, comme le gouvernement s’y est engagé. Sinon, la qualité des services rendus par les municipalités (la cantine, les crèches…) risque de se dégrader et les gens en souffriront.
Vous vous êtes distingué, à gauche, en vous opposant au “mariage pour tous”. Selon vous, beaucoup de députés y étaient hostiles mais n’ont pas voulu le dire. Pourquoi ?
Par discipline de groupe. Certains ont craint d’être sanctionnés, de ne pas conserver leur investiture aux prochaines élections. Moi, je ne fais partie d’aucune écurie politique, j’ai toujours été un homme libre, et un homme libre des outremers. J’ai porté la voix de celles et ceux qui m’ont confié des responsabilités politiques, mes concitoyens. La Martinique est un département qui est à 80 % croyant. J’ai moi-même été élevé dans la foi chrétienne, et c’est pourquoi j’ai tenu ce discours à l’Assemblée nationale, sans peur ni crainte. J’ajoute qu’il y avait à l’époque bien d’autres priorités (la lutte contre le chômage, contre le “mal-logement”…) et que ces priorités demeurent.
Vous aviez dit aussi qu’après le mariage se poserait la question du recours à la procréation médicalement assistée…
…et à la “gestation pour autrui”. À l’époque, beaucoup ont nié que tout était lié. Mais on voit bien aujourd’hui que j’avais raison, surtout après l’avis du Comité consultatif national d’éthique sur la PMA. Je le dis très nettement : s’il arrivait devant le Parlement un projet visant à étendre la PMA, je m’y opposerai. De même que je m’opposerai à la GPA. Parce qu’on ne peut pas disposer à sa guise du corps d’une femme, ni d’un enfant. Un enfant est un être humain, ce n’est pas une chose ; c’est un don de Dieu et le fruit d’un amour entre un homme et une femme. On ne peut pas nier cette différence sexuée. Que se passerait-il avec la GPA ? On irait négocier la location du ventre d’une femme dans un pays pauvre ; cela se voit d’ailleurs aujourd’hui. Et l’on voudrait l’autoriser ? C’est une forme d’esclavage moderne. Moi qui suis issu d’un peuple naguère réduit en esclavage, je ne peux pas l’admettre.
Vous avez été reçu par le Pape le 1er mars 2016, avec des membres de l’association dont vous faites partie, les Poissons roses. Que vous a-t-il dit ?
Les Poissons roses, ce sont des socialistes cathos qui revendiquent leur foi. François nous a reçus à la résidence Sainte-Marthe. Un grand moment : il devait nous accorder 30 minutes, la rencontre a duré deux heures ! Nous avons parlé notamment de la laïcité. Il considère que la société doit être laïque mais que les chrétiens ne doivent pas « rester au balcon » : ils doivent occuper le terrain, descendre dans la rue, être « là où ça se passe ». Il nous a dit aussi que la France était l’enfant de l’Église… mais pas la plus fidèle !
Est-ce qu’il est facile d’être chrétien à l’Assemblée nationale ?
Pas du tout ! C’est très difficile, mais c’est dans les difficultés qu’on se révèle, que l’on sait de quel bois on est vraiment fait. J’ai été élevé par des parents catholiques, je me suis construit au sein d’associations catholiques, comme le Mouvement rural de jeunesse chrétienne, je sais ce que je dois à l’Église. Quand vous avez plus de 50 ans, ce n’est pas parce que vous êtes député que vous allez changer ! Au contraire, je veux être toujours habité par ces valeurs et ces repères. L’essentiel pour moi, c’est de pouvoir les transmettre à mes enfants. À l’Assemblée comme ailleurs, je revendique mon appartenance catholique.
Comment vos collègues réagissent-ils à l’affirmation de vos convictions ? Par de l’intérêt ou par de l’incompréhension ?
Plutôt par de l’intérêt. Parfois même, je crois, par une certaine admiration. Il faut toujours témoigner de sa foi, où que l’on soit. Rappelez-vous ce qu’il est dit dans la Bible : « Quiconque aura honte de moi, le Fils de l’homme aura aussi honte de lui. » Et c’est le Seigneur qui parle ! Je vais à la messe chaque dimanche, je lis la Bible, j’essaie de me nourrir de cette parole. Je suis fier d’être catholique, pratiquant, et fier d’être catholique pratiquant à l’Assemblée nationale.
Propos recueillis par Fabrice Madouas.
Découvrez ici, le texte de l’intervention de Bruno Nestor Azerot devant l’Assemblée nationale, le 30 janvier 2013.
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