A la douleur d’une séparation ne s’ajoute pas forcément celle de l’explosion de la famille. Comment préserver les enfants avant tout ? Les trois témoignages qui suivent nous éclairent.Les ex conjoints étant considérés par nature comme des adversaires, leurs contacts forcément antagonistes et hostiles, « la dissolution du couple était synonyme de dissolution de la famille », raconte Helena Afonso, auteur de ‘’Deux foyers, une famille : relation entre les parents après une séparation conjugale’’, in Couple conjugal, couple parental : vers de nouveaux modèles (Eres 2007).
Le psychologue Gérard Poussin, professeur de psychologie clinique, auteur de ‘’Les enfants du divorce’’ (Dunod, 2011) introduit la notion de coparentalité. Il parle de relation « basée sur le soutien mutuel et la coopération » : Discuter des notes de l’école, prévenir du rendez-vous chez l’orthophoniste, mais aussi s’épauler en cas de difficultés. « Les enfants ont besoin d’une certaine cohérence entre leurs parents pour grandir normalement. Imaginez qu’un enfant de 5 ans se couche à 20 h chez sa mère alors qu’il peut regarder la télévision jusqu’à 22 h chez son père, cette absence de règle est néfaste pour l’évolution de l’enfant », expose le psychologue. Quel genre de contact et quelle intensité sont nécessaires pour maintenir la coparentalité ?
Plus elle est continue et de qualité, plus son impact est positif sur les membres de la famille, principalement les enfants. La relation entre les ex conjoints joue un rôle central. Cela dépend de la façon dont les parents ont réussi à dépasser le ressentiment et la colère envers l’ex-conjoint. « Mais aussi de leur capacité à séparer les problèmes et les conflits de leur ex couple des questions liées à l’éducation des enfants », souligne Helena Afonso. Enfin, les ex conjoints, surtout les pères, ont tendance à s’engager davantage dans leur rôle parental s’ils se sentent soutenus et approuvés en tant que parent par leur ex.
Comment tracer les limites de cette nouvelle relation ? « Avoir des contacts brefs mais fréquents, choisir des sujets de conversation ayant trait aux enfants qui ne mettent pas en question ou qui n’interférent pas trop avec leur compétence parentale, éviter des sujets qui pourraient risquer d’entraîner une escalade de conflits, aborder les sujets à controverse de façon progressive, par exemple les vacances », souligne Helena Afonso. Il n’est pas nécessaire d’être bons amis pour être un bon couple parental. Il suffit déjà d’être cordial et respectueux.
Julie, 41 ans, divorcée depuis 8 ans, un enfant de 11 ans, journaliste : faire la paix
« Avec mon ex mari, on ne s’est pas parlé pendant un an. Au moindre coup de fil, on se hurlait dessus, on se raccrochait au nez. Il avait mal digéré ma rupture. La seule solution vivable pour parler de notre fils, âgé alors de trois ans, était de communiquer par texto. ‘’Tu le prends à quelle heure ?’’; ‘’Il est malade, n’oublie pas ses médicaments’’; ‘’Vérifie les poux’’… Je le trouvais nul, il ne savait pas gérer notre fils, il ne se gérait même pas lui même. Il a commencé à me tourmenter, des petites menaces du genre ‘’si tu arrives cinq minutes en retard, je garde ton fils’’. Jusqu’au jour où il m’a balancé qu’il pourrait très bien entamer une procédure pour avoir davantage Max. Soi-disant je travaillais trop et ne m’en occupais pas assez. J’ai pris peur. J’ai évoqué le sujet avec mon avocate qui m’a rassurée, mon dossier était béton. Et elle m’a ouvert les yeux, en me signifiant que la réaction de mon ex était celle d’un homme blessé, que, dans cette histoire, j’avais tout gagné et que lui, en plus d’être au chômage, avait perdu sa femme et son fils. Elle m’a démontré qu’il fallait cesser de se faire la guerre pour le bien être de notre fils.
Soutenue par la prière, j’ai alors décidé de mettre mon orgueil de côté et de faire la paix, même si j’avais un mur en face de moi. J’ai cédé sur tout, sur l’argent – j’ai fait une croix sur la pension alimentaire – et sur les horaires. Je me suis assouplie. Il préférait avoir Max le vendredi soir plutôt que le samedi matin ? Pas de problème. Il m’a dit un jour ‘’on a fait la plus belle chose ensemble, c’est Max’’. Cette phrase m’a remuée, encore aujourd’hui. Petit à petit, j’ai senti qu’il prenait sa place de père, qu’il devenait une personne responsable en qui je pouvais avoir confiance. Je l’ai réimpliqué progressivement dans l’éducation de notre fils. Il y a deux ans, j’ai accepté la garde alternée. Je me souviens de notre premier dîner tous les trois, dans un endroit neutre, au restaurant. Max était si fier ! J’ai alors réalisé l’importance pour lui qu’on reste parents.
Aujourd’hui, nous le sommes vraiment, nous formons une entité : nous allons ensemble aux auditions de piano, aux sorties d’école, aux kermesses. On prend ensemble les décisions scolaires, on se consulte à tout moment, il m’arrive même de dire à mon fils ‘’’là, tu as un mauvais comportement, j’appelle ton père’’. La semaine dernière, il a eu sa première boum, son père m’a appelé pour débriefer. Nous avons même dîné tous les trois chez lui. J’ai été agréablement surprise de voir mon fils desservir la table et se coucher tout seul. Pour la première fois, je suis restée à parler avec mon ex, on a refait le monde. J’ai réalisé que nous étions complémentaires. Lui est un papa qui privilégie l’autogestion et moi, je suis la maman poule, je surveille les devoirs, le brossage des dents… Je suis ravie qu’il soit le père de mon fils ».
Corinne, 44 ans, divorcée depuis 7 ans, deux enfants de 10 et 14 ans, photographe : ne pas remuer le passé
« La première année, je me suis forcée à accepter beaucoup de choses, pour le bien de mes enfants : la garde alternée, les réunions parents-prof avec mon ex où j’étais raide comme un piquet, ses réflexions incessantes du style : ‘’Les enfants sont mal habillés’’, ‘’tu ne les fais pas assez bosser ’’, ‘’ils se couchent trop tard avec toi’’… Pourtant, c’était lui qui m’avait quittée ! J’ai laissé glisser car je savais que son agressivité était réactionnelle, il réagissait par culpabilité. Je pense aussi qu’il réalisait ce qu’était un père, rôle qu’il n’avait jamais vraiment investi auparavant. Le travail que j’entreprenais avec un accompagnateur spirituel depuis longtemps m’a beaucoup aidée à accueillir ses reproches sans réagir. Puisqu’il était impossible de parler avec mon ex, nous communiquions via la nounou, qui passait d’une maison à l’autre, et un cahier de liaison.
Un jour, j’ai craqué. Je lui ai écrit que je n’en pouvais plus de ses reproches, que je ne voulais pas remuer le passé, que je ne regrettais pas notre histoire, qu’il restait le papa de mes enfants et que je leur dirai toujours qu’il est un bon père. A la réception de ma lettre, il m’a juste dit : « Je n’ai pas de mots pour répondre à ce que tu m’as écrit, je te remercie ». Nos rapports se sont alors apaisés. Aujourd’hui, nous parvenons à nous coordonner. On se téléphone une à deux fois par semaine. Et, au moment du passage des enfants, on se livre le résumé de la semaine. Il nous arrive de nous voir, toujours à l’extérieur autour d’un café, pour parler de sujets précis. Dernièrement, nous avons parlé de notre aîné qui passe en seconde : Quelle école choisissons-nous ? Quelle seconde langue ? Quel transport ? On parle uniquement des enfants, jamais de nous. J’évite les sujets qui fâchent, notamment celui qui concerne sa compagne. Mes enfants ne la supportent pas, au point que mon aîné a voulu, l’année dernière, vivre à plein temps chez moi. Je l’ai fait changer d’avis, pour son bien. Il a besoin de son père autant que moi. Depuis cet été, notre relation a évolué vers une amitié parentale. On s’envoie nos photos de vacances avec les enfants, on va à la messe ensemble, il nous arrive même de piquer des fous rires comme cela a été le cas dernièrement en réunion parents-profs. J’avais presque oublié qu’on était séparé ! J’ai tourné la page, la douleur est passée. On reste parent toute une vie ».
Agathe, 40 ans, divorcée depuis deux ans, trois enfants de 8, 11 et 12 ans, mère au foyer : être des parents unis
« Dès notre séparation, il y a quatre ans, nous avons eu le souci d’être en bonne intelligence pour tout ce qui concernait nos enfants. Nous étions un couple séparé, mais des parents unis dans l’amour de Dieu. Pour communiquer au mieux et mettre à jour celui qui récupérait les enfants, nous avons suivi les conseils de la pédopsychiatre qui suggérait un cahier de correspondance, plus chaleureux et moins impersonnel qu’un mail, afin qu’il y ait une continuité d’une semaine à l’autre : ‘’Les notes de math de Thaïs sont à surveiller’’, ‘’Brune a besoin de fermeté’’, ‘’Cristobal a besoin d’être valorisé’’, etc. Au bout d’un trimestre, je suis passée finalement aux mails, plus rapides à rédiger. Au fur et à mesure de l’avancée de notre divorce, les mails se sont réduits. Je visais de plus en plus l’essentiel, comme si nos relations se distendaient.
Aujourd’hui, nous fonctionnons par SMS sur les points incontournables : ‘’N’oublie pas le rendez-vous chez l’orthodontiste’’; ‘’As-tu payé le cours d’échecs ?’’ Je reste très courtoise, même quand je suis agacée. Toujours ‘’bonjour’’ et ‘’au revoir’’. Même pour les sujets cruciaux, nous échangeons par texto et si nécessaire, nous développons par mail. Dernièrement, il m’a écrit : ‘’Cristobal est odieux, je veux le mettre en pension’’, ce à quoi, je lui ai répondu par la négative par texto. J’aimerais le voir à chaque fin d’année pour faire un point sur les enfants, leur attitude, les activités extra- scolaires… mais il évite le contact, il trouve notre manière de fonctionner suffisante. Il craint sans doute que je dévie sur des sujets délicats comme la prestation compensatoire qui n’a pas encore été statuée par le juge. Je pense que notre relation deviendra sereine quand notre divorce sera réglé. Mais le bilan est globalement positif : nous avons réussi à rester des parents unis face à nos enfants. Ils n’ont pas à prendre parti pour l’un ou l’autre. Nous voir communiquer à leur sujet les cadre et les rassure, ils sont tous les trois épanouis ».