Au lieu d’être simplement remanié au lendemain des législatives, le gouvernement a été recomposé sous le choc de la démission de quatre ministres, dont ceux des Armées et de la Justice.29 ministres et secrétaires d’État au lieu de 18 dans le gouvernement précédent : la promesse d’un gouvernement resserré n’a pas été tenue. En cause : les « affaires » qui ont contraint à ne pas s’en tenir au simple remaniement technique, relève L’Obs : « Quatre démissions surprise ont donné une toute autre dimension à l’événement. Celle, lundi, du ministre de la Cohésion des territoires Richard Ferrand, compagnon de route du chef de l’État dans sa conquête du pouvoir et celle, mardi, de la ministre des Armées, Sylvie Goulard. Enfin ce mercredi matin, François Bayrou et Marielle de Sarnez ont tous les deux annoncé qu’ils quittaient le navire, sur fond de soupçons d’emplois fictifs des assistants parlementaires des euro-députés MoDem. »
Bayrou et de Sarnez emportés par la démission surprise de Sylvie Goulard
« Emmanuel Macron doit une fière chandelle à Sylvie Goulard », estime Françoise Fressoz, éditorialiste au Monde : « Si son ancienne ministre de la défense n’avait pas jugé bon de démissionner afin de “pouvoir démontrer librement sa bonne foi”, si cette Européenne convaincue n’avait pas obéi au “critère d’exigence” en vigueur chez nombre de nos voisins, François Bayrou et Marielle de Sarnez seraient peut-être encore aujourd’hui au gouvernement. » Il n’empêche, ajoute Françoise Fressoz « quatre ministres, inquiétés par les affaires, quittent le gouvernement un mois à peine après avoir été nommés. La perte est lourde, car ils occupaient chacun un poste emblématique… ».
Après ce séisme, pas question d’en rajouter par des coups d’éclat, commente le Huffington Post : « Fragilisé par le départ fracassant de quatre de ses ministres, dont le très proche Richard Ferrand et les trois cadres du Modem, François Bayrou, Marielle de Sarnez et Sylvie Goulard, Emmanuel Macron a manifestement privilégié les ajustements aux surprises dans la nomination du gouvernement Philippe 2. (…) Les sortants épargnés par les affaires sont confirmés à leurs postes, hormis un transfert du radical Jacques Mézart (ex-agriculture) à la Cohésion des territoires où il succédera à Richard Ferrand. Attaquée au sujet d’une enquête préliminaire portant sur d’anciennes fonctions, la ministre du Travail Muriel Pénicaud garde son portefeuille. Parmi les nouveaux entrants, on compte deux personnalités issues du Parti socialiste nommées à des ministères régaliens [Nicole Belloubet qui remplace François Bayrou comme garde des Sceaux, et Florence Parly qui récupère le ministère des Armées après la démission de Sylvie Boulard] deux figures de la droite dite “constructive” à des postes [Sébastien Lecornu (LR), proche de Bruno Le Maire et le sénateur Jean-Baptiste Lemoyne secrétaires d’État], quatre figures de La République En Marche [Stéphane Travert à l’Agriculture, Brune Poirson, Benjamin Griveaux, et Julien Denormandie secrétaires d’Etat] et deux issues des rangs du Modem [Geneviève Darrieussecq nommée secrétaire d’État auprès de la ministre des Armées et Jacqueline Gourault, vice-présidente du Sénat qui devient ministre auprès du ministre de l’Intérieur].
Gouvernement d’experts ou de technocrates ?
Les questions de base sur la nature du nouvel exécutif ont été bien résumées par le débat entre Alain Duhamel et Eric Zemmour sur RTL vendredi matin. Gouvernement d’experts ou de technocrates ? « C’est à peu près la même chose mais le mot expert bénéficie d’une connotation positive alors que technocrate a lui une connotation négative », note Alain Duhamel, qui veut « donner sa chance au nouveau gouvernement » en lui préférant la qualification d’expert. « Un gouvernement d’experts c’est un gouvernement présidentiel ». En fait, c’est un « gouvernement de crise » ajoute Alain Duhamel qui rappelle le premier gouvernement constitué par le général De Gaulle et ajoute : « On ne va tout de même pas faire de leurs compétences un handicap ! ». « Gouvernement d’énarques » répond Eric Zemmour. « Je me suis demandé si le nom de la dernière promotion de l’ENA n’était pas “société civile” ». Il ajoute : « C’est le vieux rêve saint-simonien du gouvernement par la science » (en allusion au Saint-Simon du XIXe siècle). D’où la coupure à craindre entre ce gouvernement dominé par « l’énarchie » et le peuple.
Mais théoriquement, il n’y a pas que l’exécutif pour gouverner le pays, « qui seront les présidents de groupe ? » à l’Assemblée nationale, s’interroge le JDD. « Avant mardi prochain, les six ou sept prochains groupes politiques de l’Assemblée nationale devront avoir un président. La plupart se sont déjà choisi un chef de file, à l’image du PS qui a conforté Olivier Faure dans son rôle jeudi. (…)Il rejoint ainsi Christian Jacob (Les Républicains) et Marc Fesneau (MoDem) qui ont tous deux été désignés mercredi président de leur groupe respectif. Les autres groupes parlementaires ont jusqu’à mardi prochain et la première séance publique de la nouvelle Assemblée nationale pour élire un président. »
« Le président de groupe a un rôle essentiel dans la vie de l’Assemblée, explique le JDD. Il organise le travail parlementaire de ses troupes, valide ou non les amendements proposés, peut donner des consignes de vote dans certains partis. Surtout, il est membre de la Conférence des présidents, l’instance pilotée par le président de l’Assemblée nationale qui rassemble tous les cadres de la chambre parlementaire. Réuni chaque mardi, cet organe décide du calendrier législatif et fait appliquer le règlement. Cette “Conférence” peut donc sanctionner un député ou faire lever son immunité. Plus généralement, c’est elle qui règle les litiges internes à l’Assemblée. »
La nomination la plus sensible à cette fonction de président de groupe serait évidemment celle du député du Finistère, Richard Ferrand, non seulement parce qu’il dirigerait le groupe LREM majoritaire, mais parce que, « homme clé du système Macron », il a été « exfiltré » du gouvernement à cause de l’enquête préliminaire en cours sur ses anciennes activités quand il était à la tête des Mutuelles de Bretagne. À ce propos, dans un communiqué le syndicat SNJ/CGT des journalistes de l’AFP accuse l’agence d’avoir tenté d’étouffer l’affaire Ferrand. Selon eux, l’AFP aurait pu sortir l’affaire des Mutuelles de Bretagne avant le Canard enchaîné, mais la direction de l’agence s’y serait opposée.
Emmanuel Macron à l’épreuve du réel
« Le président a le champ libre. Pour combien de temps ? », s’interroge la politologue Catherine Rouvier dans Causeur. « L’opposition atomisée, il a toutes les clés pour gouverner. Mais gare à ne pas finir comme Napoléon III. » En effet, explique-t-elle, « Pour les “marcheurs”, les choses sont claires : la volonté du peuple, c’est Macron qui l’incarne, et il est à gauche, “mais en même temps” à droite. Le fond du programme a du reste moins d’importance que l’adhésion à sa personne et son projet, et le projet lui-même importe moins que l’attitude positive, le “penser printemps”. Mais le clivage droite-gauche a la peau dure : “Il en va des divisions droite-gauche comme des différences sexuelles. Plus on les nie, plus elles prennent leur revanche en s’inscrivant dans le réel””. « Aujourd’hui, la menace, en France comme en Angleterre et d’autres pays d’Europe, vient de l’implantation de l’armée des ombres de Daech et autres officines radicales, dans des quartiers entiers de nombreuses villes, passives car tétanisées. Par ailleurs, une extrême gauche désormais écartée du pouvoir, conduite par un Mélenchon ulcéré prêt à faire feu de tout bois, pourrait provoquer cette révolte sociale postélectorale appelée “troisième tour social”. Cette conjonction menacerait la fragile unité de la toute nouvelle majorité présidentielle (…) Car le clivage s’évanouit dans la concorde, mais ressurgit dans l’adversité. »