Tandis que la perspective d’une majorité présidentielle sans opposition suffisamment consistante suscite l’inquiétude, les électeurs s’apprêtent à voter dans la confusion des appartenances politiques.Le dernier sondage effectué par Elabe pour BFMTV , publié le vendredi 9 juin, crédite le parti La République en Marche de 29% des intentions de vote pour le premier tour des élections législatives. 23% des électeurs choisiraient un candidat LR ou UDI, 17% un candidat Front national. La France insoumise obtiendrait 11% des suffrages, le Parti socialiste 9%, EELV 3%, Debout la France 2%, le Parti communiste 2% et l’extrême gauche 0,5%. Commentant un sondage précédent (Pop2017 BVA-Salesforce pour la Presse régionale et Orange) Ouest France souligne : « La République en Marche obtiendrait à elle seule la majorité absolue des députés à l’Assemblée nationale, avec plus de 360 députés [en incluant le MoDem] (…) Les Républicains représenteraient la première force d’opposition (…) et le Front national pourrait constituer un groupe parlementaire. Pour La France insoumise et le Parti communiste, la constitution d’un groupe parlementaire n’est pas encore assurée. Le Parti socialiste lui, est en grande difficulté, et pourrait même tout juste parvenir à constituer un groupe parlementaire. »
Les électeurs peinent à reconnaître l’identité des candidats
Ce premier tour se présente dans un flou artistique bien fait pour désorienter les électeurs qui peinent à reconnaître à quel parti nombre de candidats appartiennent : « Logos manquants, couleurs ambiguës, slogans trompeurs : les affiches des législatives sèment la confusion» regrette Le Monde. Certains candidats cachent l’identité du parti dont ils sont issus. Ainsi « Marisol Touraine, ancienne ministre de la Santé et candidate en Indre-et-Loire, n’indique pas son appartenance au Parti socialiste (PS) et évite les couleurs traditionnellement associées à la gauche. (…) L’actuel ministre de l’Économie Bruno Le Maire, qui a par le passé été élu deux fois avec l’étiquette Les Républicains, se présente cette fois pour La République en marche (LRM), le parti du président Macron. Mais il ne l’indique pas sur son affiche, et ne donne aucun indice. » Quant à Jean-Luc Mélenchon, il a délaissé « le rouge révolutionnaire qu’il utilisait en 2012, pour un turquoise moins connoté. »
La confusion est à son comble quand certains candidats font figurer la photo d’Emmanuel Macron à côté de la leur alors qu’ils se présentent contre un candidat LRM ! « Investi par le Parti socialiste, Erwann Binet a utilisé par exemple des affiches sur lesquelles apparaît le président, alors qu’il se présente contre Caroline Abadie, investie, elle, par LRM. » D’anciens ministres PS, Manuel Valls, Myriam El Khomri ou encore Marisol Touraine auxquels LRM n’oppose pas de candidats, utilisent la mention « avec Macron » ou « majorité présidentielle » … alors qu’ils restent socialistes. Député PS sortant dans la troisième circonscription du Cher, Yann Galut confie à France info : « Aujourd’hui, il n’y a plus de Parti socialiste. » S’il le logo du PS ne figure pas sur son affiche électorale, c’est, se justifie-t-il, parce qu’ « aujourd’hui, vous ne pouvez plus vous présenter avec l’étiquette socialiste. Le Parti socialiste, ici, c’est pire qu’un rejet, c’est de l’indifférence totale. »
Une Bérézina pour les vieux partis et leurs ténors
C’est « la Bérézina des vieux partis politiques » analyse le politologue, Jean-Baptiste Forray dans une tribune au Figaro : « Réduits à de simples syndicats d’intérêts électoraux, le PS et Les Républicains ont oublié de penser, précipitant leur chute. » Il pointe « l’empire du vide » que trahit des organigrammes inflationnistes, la palme revenant au PS dont la direction « se compose de 75 secrétaires nationaux et secrétaires nationaux adjoints aux intitulés parfois aussi flous que ronflants : “Préparation de l’avenir”, “Croissance bleue”, “Mobilisation des acteurs de quartier”… Les Républicains, aux dernières nouvelles, recensent 58 secrétaires nationaux, 20 délégués nationaux et 12 délégués classiques. (…) Victimes de l’indigence de leurs apparatchiks, Les Républicains sous-traitent leur production intellectuelle à des think tanks. »
À droite et plus encore à gauche, nombre de « ténors sont menacés de défaite » constate Sud-Ouest dont les anciens ministres Manuel Valls, Najat Vallaud-Belkacem, Cécile Duflot, le patron du Parti socialiste Jean-Christophe Cambadélis, ou, à droite, Nathalie Kosciusko- Morizet, ex-ministre de l’Environnement de Nicolas Sarkozy. Celle-ci « a pourtant hérité d’une circonscription en or, celle détenue jusque-là par François Fillon : la dixième de Paris. Or, aujourd’hui Nathalie Kosciusko- Morizet est clairement menacée. Concurrencée par un candidat de La République En Marche, Gilles Le Gendre, elle doit aussi affronter deux dissidents de droite, Henri Guaino, l’ancienne plume de Nicolas Sarkozy, et Jean-Pierre Lecoq, le maire du VIe arrondissement de la capitale. Lesquels seraient poussés en sous-main par… Rachida Dati. NKM l’a reconnu : “Ma voix risque de s’éteindre”. » En revanche, « Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon sont en bonne posture pour l’emporter » souligne L’Internaute et de faire ainsi une « entrée fracassante » à l’Assemblée nationale parce qu’ils incarneraient dans l’opinion la véritable opposition à Emmanuel Macron.
Pas étonnant, estime Nicolas Gauthier, journaliste, écrivain, dans Boulevard Voltaire : « Depuis longtemps, nombreux sont ceux à avoir voulu faire “turbuler” le système : chevènementistes, lepénistes et mélenchonistes. Les premiers ne sont plus et les seconds légèrement “turbulés”. Bref, c’est un peu l’arroseur arrosé. Et c’est ainsi qu’Emmanuel Macron, pourtant candidat du système, a fait “turbuler” ce dernier pour de bon. Car si le Front national et La France insoumise tiennent encore à peu près debout, c’est l’UMPS qui a “turbulé” pour de vrai. »
Exemple typique de désordre à droite : le soutien d’Alain Juppé, ténor des LR, à Aurore Bergé, candidate de La République en marche contre Jean-Frédéric Poisson, le président du Parti chrétien démocrate, investi par Les Républicains dans la dixième circonscription des Yvelines. Voilà qui « ajoute à la confusion dans la campagne des législatives à droite » analyse Guillaume Tabard dans Le Figaro : « Si une haute autorité morale comme celle de Juppé s’autorise à ne pas soutenir un candidat de son parti qu’il juge trop conservateur, comment obliger un électeur de droite à voter pour une candidate comme NKM qu’ils jugeraient trop progressiste ? Comment obliger un électeur de droite à voter pour Thierry Solère, ouvert à Macron, à Boulogne-Billancourt, alors que le maire LR de la ville, Pierre-Christophe Baguet soutient la candidature d’une de ses adjointes, Marie-Laure Godin ? Par son poids politique, Alain Juppé envoie un message aux électeurs, aux élus et aux dirigeants de droite : dans ce contexte de turbulence, il n’y a plus de logique de parti qui vaille, chacun fait ce qu’il veut. Il officialise un permis de recomposer. »
La République en Marche, « auberge espagnole »
Quant à La République en Marche, c’est « l’auberge espagnole » juge Le Monde , qui a passé au crible les candidats : si « 244 candidats de la majorité présidentielle aux législatives ont déjà décroché un mandat électif » — dont « le plus gros contingent vient du PS » — « plus de la moitié des 525 candidats investis par La République en marche (LRM) (…) n’ont jamais occupé un seul mandat électif. » Emmanuel Macron lui-même craint que ce soit « le foutoir » selon Le Canard Enchaîné cité par L’Obs : « “Nous allons avoir beaucoup d’élus, presque trop, plus de 400, il va falloir les encadrer de près pour éviter le foutoir”, aurait-il prophétisé. Le chef de l’État voit dans cet engouement pour les candidats de son mouvement, La République en marche, le résultat du “double effet de la présidentielle et du dégagisme”. “Tout ce qui est affublé du sigle des vieux partis est condamné”, a-t-il confié à ses conseillers, explique l’hebdomadaire satirique. » Ce qui ne préjuge pas de l’avenir de LRM.