Lors de sa venue récente à Paris, on a pu voir le président russe embrasser les icônes de la nouvelle cathédrale orthodoxe de la Sainte-Trinité. Le monde catholique a récemment redécouvert les icônes et il n’est pas rare d’en voir orner les églises latines. Mais que signifient-elles vraiment et pourquoi cette pratique ?Le geste a pu surprendre tant les responsables politiques français ont à cœur de préserver la laïcité de notre République en s’interdisant tout signe ostentatoire de religion dans l’exercice de leur mandat ou de leur fonction. Lors de sa visite à Paris le 29 mai dernier, le président russe s’est offert un petit crochet par la splendide cathédrale orthodoxe de la Sainte-Trinité de Paris, en compagnie de la maire du 7e arrondissement de Paris Rachida Dati, et de la maire de la capitale, Anne Hidalgo. Pénétrant sous la coupole blanche, Vladimir Poutine s’est avancé directement jusqu’à l’analogion, ce lutrin placé en avant de l’iconostase, dans la nef, et destiné à supporter l’icône de la fête du jour ou du saint auquel l’église est dédicacée. Sans l’ombre d’une hésitation, il s’est incliné pour embrasser l’icône, puis y poser son front en signe de recueillement et d’humilité. Il reproduira ce geste de piété quelques minutes plus tard avec une icône de la Sainte Trinité que l’évêque de Chersonèse lui présente.
Plus qu’un ornement, l’icône est devenue dans la tradition orientale un véritable objet de vénération. Car, à travers ce qui n’est matériellement qu’une peinture sur bois, est manifesté comme dans un miroir des réalités célestes, la présence spirituelle et invisible du saint, de l’ange ou de Dieu fait homme qu’elle représente.
L’icône rappelle donc que la vie de l’Église n’est pas que celle des hommes vivants, mais aussi communion avec tous les saints et tous les anges qui participent à louer Dieu sans cesse, et particulièrement lors des célébrations comme l’annonce l’Apocalypse de Saint Jean. C’est d’ailleurs sur cette théologie particulière de l’image, qui fit l’objet de vives controverses dans l’histoire, que se fonde la spécificité de l’icône : l’absence de source de lumière visible signifie que Dieu sera notre soleil (Apocalypse 22 : 5), et les visages sont sereins, humbles et consolés par Lui. La réalisation d’une icône est d’ailleurs et avant tout une œuvre spirituelle, qui suppose d’avoir expérimenté la divinisation du monde créé afin d’en retranscrire au mieux la profondeur.
Ne pas mélanger la vénération et l’adoration
La vénération des icônes, que l’on a pour tradition d’embrasser dans le monde oriental, est donc un signe de révérence non pas envers l’image elle-même, mais envers la réalité spirituelle manifestée par son intermédiaire. Une façon pour les fidèles de signifier que, loin d’être indifférents, ils sont reconnaissants envers les figures éminentes ainsi représentées. Ainsi trouve-t-on dans les églises orthodoxes, parmi d’autres, une icône du saint patron de la paroisse appelée icône « patronale ».
L’Occident connaît surtout la vénération des reliques, qui sont une réalité matérielle à travers laquelle la grâce de Dieu agit. Mais l’icône est représentation, en aucun cas elle ne se confond avec ce qu’elle représente. En cela, la vénération de l’icône rappelle davantage la dévotion envers les statues, forme de représentation privilégiée en Occident.
Il ne faut donc pas mélanger la vénération et l’adoration. Car seul Dieu est digne d’être adoré, l’adoration d’une icône constituerait un acte d’idolâtrie. Cette confusion entre les deux termes a donné lieu dans l’histoire à des accusations malheureuses entre les Chrétiens Grecs et Latins : le terme grec de « vénération » avait été traduit dans les actes du second Concile de Nicée, en 787, par le terme latin d’adoratio. La postérité de cette traduction malencontreuse vaudra aux Latins, et notamment, bien plus tard, à Saint Thomas d’Aquin qui avait repris ce terme, d’être accusés d’idolâtrie dans des écrits polémiques. Mais la redécouverte contemporaine des icônes par le monde occidental signe la fin des querelles et des incompréhensions mutuelles, et la restauration d’un héritage commun.