La présentation par François Bayrou des mesures visant à moraliser les pratiques politiques a coïncidé avec l’ouverture d’une enquête sur le ministre Richard Ferrand.À une semaine des élections législatives, l’attention des médias est accaparée par l’affaire Richard Ferrand. Elle a été révélée par le Canard Enchaîné : l’hebdomadaire satirique accuse le ministre de la Cohésion des territoires, député socialiste du Finistère, premier parlementaire à avoir rejoint le mouvement d’Emmanuel Macron et son bras droit dans la constitution de son parti, d’avoir utilisé un montage financier pour permettre à sa compagne de devenir propriétaire à Brest du local commercial loué par les Mutuelles de Bretagne qu’il dirigeait. Ce montage financier aurait considérablement augmenté la valeur des parts de la Société civile immobilière acquise par celle-ci.
« Un trouble mélange des genres »
Sur BFMTV, le 24 mai, Richard Ferrand évoquait un « acte de gestion banal » et affirmait que le local avait été choisi sur des critères objectifs, assurant en outre qu’il était de notoriété publique que le local appartenait à sa compagne. Mais selon le Canard Enchaîné, le local n’appartenait pas encore à celle-ci lorsque la mutuelle a étudié le dossier. En outre, une autre révélation du Canard Enchaîné (24 mai) selon lequel Richard Ferrand avait lui aussi embauché son fils comme assistant parlementaire — alors qu’il n’avait pas eu de mots assez durs contre François Fillon ni manifesté la moindre compassion pour son collègue Bruno Le Roux qui avait été contraint à la démission dans de semblables circonstances — a achevé de jeter le trouble. La défense maladroite de son cabinet a ajouté l’indignation au trouble : le cabinet du ministre expliquait à France Info le 24 mai qu’en Centre-Bretagne, « il n’est pas simple de trouver un jeune, volontaire, pour travailler cinq mois, qui sait lire et écrire correctement, aller sur internet ». Le Monde des 30 et 31 mai a enfoncé le clou en publiant de nouvelles informations mettant au jour un « trouble mélange des genres » entre intérêts publics et privés depuis des années : « Une SCI, un assistant parlementaire, une compagne, une ex-femme… Les révélations autour de Richard Ferrand, nouveau ministre de la cohésion des territoires et député socialiste du Finistère depuis 2012, comportent de multiples volets. »
« Coup de tonnerre » de Brest
Pourtant la justice ne bougeait pas : ni le parquet national financier, ni le parquet de Brest… jusqu’à ce « coup de tonnerre » du 1er juin annoncé par Le Télégramme : « Le parquet de Brest a finalement décidé d’ouvrir une enquête préliminaire sur les faits signalés ces derniers jours. » « Les appels insistants s’étaient multipliés, explique Le Télégramme. Partis et élus politiques, simples citoyens réclamaient une enquête (…) Une situation intenable pour le parquet de Brest, qui a finalement cédé. D’abord face à l’accumulation de faits rapportés dans la presse ces derniers jours. Et surtout face à la confusion générée par les déclarations, parfois contradictoires, des différents acteurs du dossier. (…) »
Coïncidence fâcheuse pour le gouvernement, ce même jeudi 1er juin le garde des Sceaux François Bayrou présentait à la presse son projet de loi de moralisation de la vie politique, le premier grand chantier législatif du quinquennat Macron. Le but est de « restaurer la confiance des citoyens dans l’action publique ». Les moyens : deux lois et une révision de la Constitution.
« Restaurer la confiance des citoyens »
Le Figaro fait le tour des mesures proposées par le ministre de la Justice :
La réforme constitutionnelle consistera à supprimer la Cour de justice de la République (« Les ministres seront désormais jugés par des magistrats et non des parlementaires ») à limiter à trois les mandats des élus et à exclure les anciens présidents de la République du Conseil constitutionnel.
Les deux projets de loi ont pour objet de supprimer la réserve parlementaire pour éviter toute « dérive clientéliste », d’interdire aux parlementaires et aux ministres de recruter des membres de leur famille, et d’« encadrer le plus sévèrement possible les activités de conseil des députés et sénateurs ». « En outre, une peine d’inéligibilité de plein droit et jusqu’à dix ans sera créée en cas de crimes ou délits “portant atteinte à la probité”. Il s’agit des affaires de fraude et de corruption. »
S’agissant des partis politiques, « le ministre de la Justice a promis une “refonte” du financement public de la vie politique » avec notamment la création d’une « banque de la démocratie » pour financer les campagnes électorales. Enfin, le financement à l’étranger des partis sera interdit et les prêts consentis par les personnes physiques au sein des partis seront encadrés.
L’opposition n’a pas manqué de réagir, relève Le Point : « Pour François Baroin, chef de file LR pour les législatives : « Sur la méthode comme sur le fond, il y a beaucoup à dire et beaucoup à revoir. (…) L’appellation moralisation de la vie politique en elle-même est choquante. (…) cette conférence de presse intervenant le jour même où une enquête préliminaire vise [Richard Ferrand] (…) » Selon Bernard Accoyer, secrétaire général de LR, « Les Républicains s’impliqueront avec la plus grande exigence dans la discussion de ces projets de loi », mais « l’absence d’une véritable phase de consultation et l’annonce de délais très courts pour le débat parlementaire ne nous paraissent pas de nature à répondre à la complexité et à l’importance du sujet. D’ailleurs, aucune des mesures annoncées n’aurait pu empêcher les affaires Ferrand (…)». Pour le Front national, le projet comporte « un certain nombre d’aspects positifs », comme la création d’une « banque de la démocratie », mais compte « des manques regrettables », notamment « l’absence de mesures fortes pour interdire la pratique du pantouflage, en particulier le va-et-vient entre haute fonction publique et finance privée. (…) » En revanche, pour Didier Guillaume, président du groupe PS au Sénat, « Les propositions avancées par François Bayrou vont dans [le] sens de moderniser nos institutions et d’améliorer la lutte contre les conflits d’intérêts. (…) Ce sera désormais au débat parlementaire de définir les modalités d’application des orientations fixées …»
La République en marche stable dans les sondages
Europe 1 souligne l’urgence pour l’exécutif de faire passer sa réforme : « L’espoir d’Emmanuel Macron c’est que le contenu de sa réforme fasse oublier les accusations qui pèsent sur Richard Ferrand. » Comment ? « Le garde des Sceaux a laissé entendre que si la voix parlementaire commençait à prendre les allures d’une impasse, alors Emmanuel Macron n’hésiterait pas à faire usage du référendum. En vérité, ni le président de la République ni le Premier ministre n’en sont là. L’exécutif pense d’abord à l’effet d’annonce escompté pour les législatives. »
Malgré tout, le 2 juin, les sondages prédisaient encore une large majorité à La République en marche (LREM) : « Selon un sondage Harris Interactive/Indeed pour LCP, la République en Marche est en tête avec 31% (=) des intentions de vote, suivie des Républicains-UDI (18%, =), du Front national (18%, -1), de la France insoumise (11%, -3), du Parti socialiste (8%, +1) et d’EELV (3%).(…) Concernant la projection, LREM obtiendrait 330 à 360 sièges, LR-UDI 135 à 150 sièges, le PS 30 à 44 sièges, la France insoumise-PCF 15 à 25 sièges et le FN 8 à 22 sièges » résume l’Internaute.