Entretien avec le préfet du Secrétariat pour la communication du Saint-Siège, lors du Festival sacré de la beauté, off du Festival de Cannes.
Parmi les grandes nouveautés de cette 70e édition du Festival de Cannes, on a pu noter la participation de Mgr Dario Viganò, le préfet du Secrétariat pour la communication du Saint-Siège : organisme créé par le pape François pour unifier et relooker la communication vaticane. Souligné par les journalistes présents sur place, cet événement ouvre une nouvelle page dans les relations entre “l’Église et le septième art”. Relations non plus teintées de polémique, mais d’un nouveau “sentiment de responsabilité commune”. Mgr Viganò est arrivé à Cannes, accompagné de hauts représentants du cinéma : l’acteur Michael Lonsdale et le réalisateur Wim Wenders, pour participer à une journée exceptionnelle, consacrée à ces liens entre “l’art et le spirituel”, dans le cadre du off du Festival de Cannes : “Le Festival sacré de la beauté”.
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Le cinéma est “une catéchèse de l’humain. Il n’y a pas d’un côté la vie humaine, de l’autre la vie spirituelle. Elles sont mêlées. Et les réalisateurs ont cette opportunité de pouvoir plonger au fond de l’être, avec ces joies et ses souffrances”, a déclaré Mgr Viganò lors de ses échanges avec les représentants de l’Église et de l’industrie cinématographique. Il est revenu, pour Aleteia, sur le sens de sa présence à Cannes et l’importance de ce dialogue entre “l’Église et le cinéma” pour transmettre les “émotions humaines” et “ouvrir les cœurs” :
Aleteia : Que pense le Saint-Père du cinéma ?
Mgr Dario Viganò : Lors d’un récent voyage à Milan, le pape François a parlé de cinéma aux jeunes confirmés, se remémorant un célèbre film de Vittorio De Sica, Les enfants nous regardent, réalisé en 1943. Pour le Pape, ce film et toutes les autres œuvres réalisées dans la période immédiate de l’après-guerre, sont de “véritables catéchèses d’humanité” (Milan, 25 mars 2017), parce qu’ils parlent des difficultés et de la misère des gens mais apportent aussi un message libérateur, qui ouvre à l’Espérance..
Pensez-vous que le cinéma ait un rôle social à jouer ?
Absolument. Comme tout art, il a un rôle à jouer, c’est-à-dire qu’il est capable de raconter la réalité en la montrant de près, et en entrant dans les méandres psychologiques de la vie de l’homme, sans se dérober à des vues complexes ou problématiques. Mais le cinéma est également porteur d’une vision plus large, qui ouvre les yeux sur d’autres horizons.
Et ce rapport entre le cinéma et la spiritualité…
Le cinéma a réussi à nous pousser sur les traces de l’invisible, de Dieu, à saisir les manifestations de sa miséricorde dans l’histoire de l’Homme. Je pense à la poétique de Robert Bresson, au Journal d’un curé de campagne (1951) de Bernanos, à Au hasard Balthazar (1966), où l’auteur retrouve l’image de Jésus dans ce pauvre âne battu et traîné dans les souffrances comme le Christ.
Je pense également à La strada (1954), La route de Federico Fellini, un film cher au pape François. Dans ce film, brille l’innocence de la jeune Gelsomina qui fait face à la vie avec candeur, tout en la défiant et en se confrontant à la barbarie de l’homme, Zampanò. C’est un regard extraverti que le cinéma offre aux yeux du spectateur, un regard vif et parfois difficile à saisir ; il nous montre ses propres frontières et nous pousse à les traverser.
Expliquez-nous le sens de votre présence à Cannes.
Au Festival de Cannes, de grands auteurs sont passés et ont offert aux spectateurs du monde entier des œuvres capables de rompre la monotonie de notre vie quotidienne, rappelant ainsi l’importance de l’inclusion sociale et de la miséricorde. Comment ne pas mentionner à ce titre la Palme d’or de 2016, “Moi, Daniel Blake” (I, Daniel Blake) de Ken Loach, cinéaste britannique qui se positionne depuis toujours en tête dans les récits des périphéries humaines, de la condition des travailleurs, de la classe ouvrière. L’Histoire du sous-prolétariat intéressait également Pier Paolo Pasolini. Dans Moi, Daniel Blake, Loach dénonce le visage inhumain de la bureaucratie, qui écrase la plupart du temps ceux qui sont déjà misérables et sans défense ; mais en racontant tout cela, Ken Loach nous apporte aussi une histoire d’espérance, cette espérance qui s’acquiert grâce à la miséricorde, grâce au don de soi pour l’autre et pour son bien.
Ce même regard émerge des œuvres des frères Jean-Pierre et Luc Dardenne, qui ont triomphé au Festival de Cannes avec Rosetta (1999) et L’Enfant (2005). Dans leur filmographie, il y a toujours un autre titre, en compétition sur la Croisette, pour lequel j’ai une affection particulière : Deux jours, une nuit, (2014). C’est un film qui met en scène la vie des travailleurs « rejetés », tels que l’employée Sandra, licenciée alors qu’elle venait de se remettre à travailler après une convalescence liée à sa dépression. Elle est chassée parce qu’on la considère comme n’étant plus utile, improductive car ayant été malade, et donc « échouée ». Les Dardenne ne prennent pas de pincettes et mettent en lumière toute la froideur d’un monde du travail qui progressivement perd toute humanité. Cependant, ils tracent dans un même temps un chemin d’ascension et de libération, grâce au rôle décisif que jouent les liens affectifs présents dans la famille, véritable rempart contre les tempêtes. De là, tout recommence, de là naît l’aurore du possible.
À Cannes, les journalistes ont fait état d’un nouveau regard de l’Église sur le cinéma : plus de polémique mais une collaboration fondée sur “la responsabilité commune” de semer l’espérance.
Le pape François parle de cette urgence — “parler d’espérance” — dans son message pour la Journée Mondiale des Communications Sociales, qui sera célébrée le dimanche 28 mai. “Communiquer l’espérance et la confiance en notre temps” est le titre choisi par le Pape pour cette journée, pour attirer l’attention de tous ceux qui travaillent dans les médias, et la curiosité du public sur l’importance de promouvoir des “récits vrais et honnêtes”, où le sentiment de “confiance” à l’égard du temps présent et à venir, n’est pas en reste.
Le pape François l’a souligné : “Je voudrais contribuer à la recherche d’un style ouvert et créatif de communication, qui ne soit jamais disposé à accorder au Mal un premier rôle, mais qui cherche à mettre en lumière les solutions possibles, inspirant ainsi une approche active et responsable aux personnes auxquelles l’information est communiquée. Je voudrais inviter le cinéma à offrir aux hommes et aux femmes de notre temps des récits marqués par la logique de la Bonne Nouvelle”. C’est ce que nous attendons (toujours) du bon cinéma…