Du 12 au 14 mai se déroule un événement spirituel méconnu et qui est pourtant d’une importance mondiale pour la communauté juive : le pèlerinage de la Ghriba, sur l’île de Djerba, en Tunisie. Le pèlerinage est entrepris à l’occasion du 33e jour d’Omer ou Ba’omer en hébreux. Cette fête a des origines singulièrement brumeuses puisqu’on ne sait au juste ce qu’elle célèbre vraiment : d’aucuns parlent de la défaite de Josué sous les murs de la ville d’Aï, d’autres de la mort soudaine qui frappa les disciples de Rabbi Akiva, grand mystique du judaïsme rabbinique ayant vécu au IIe siècle après J-C. La plupart, cependant, parlent de la mort de Rabbi Shimon bar Yohaï, autre mystique de la même époque qui aurait écrit le Zohar, exégèse de la Torah, pilier d’une tradition ésotérique juive nommée la Kabbale. Toujours est-il que c’est un jour de grande tristesse qu’il s’agit paradoxalement de célébrer avec joie.
Un pèlerinage central dans la culture du Maghreb et du judaïsme
C’est en arrivant au Maghreb que la fête prend toute son importance, le souvenir de Rabbi Shimon devenant celui de tous les saints du judaïsme. Elle s’étoffe au cours des siècles de veillées d’études et de processions devenant vite un pèlerinage à la synagogue tunisienne de Gribha, sur l’île de Djerba. Là encore les raisons ayant motivé le choix de cette synagogue en particulier sont obscures, mais certains récits affirment qu’elle contiendrait des restes du Temple de Salomon, ou même qu’elle serait bâtie avec.
Il se déroule sur trois jours, en mai la plupart du temps, comprend de nombreuses cérémonies comme la procession du Chandelier à sept branches dans les rues et jusqu’au cœur de la synagogue, le dépôt d’œufs dans lesquels ont été glissés des vœux pour l’année à venir, le recueillement dans d’autres lieux sacrés du village. Une grande prière est également adressée à Rabbi Shimon pour qu’il viennent délivrer de l’exil les fils d’Israël qui ont trouvé refuge ici.
Une tradition menacée depuis le milieu du XXe siècle
Cette tradition séculaire a perdu de sa vigueur depuis quelques décennies. La fin de la colonisation française a entraîné le départ d’une grande partie de la communauté juive vers l’Europe. Ces juifs ont gardé de très fort liens avec la Tunisie, à commencer par ce pèlerinage, qui est une occasion de réunir des familles dispersées, mais le fait demeure qu’ils ne vivent plus à proximité. Surtout, la montée de l’islamisme fait peser une grave menace sur l’événement. En 2002, un terrible attentat fait 19 morts dans la synagogue, révélant que cette communauté, plus vieille que l’invasion arabe et jusqu’ici parfaitement acceptée, était devenu une cible. Depuis 2014, la venue des pèlerins israéliens qui forment avec les français le plus gros contingent, est de plus en plus difficile, les islamistes étant de plus en plus radicalement opposés à l’entretien de relations avec l’État d’Israël.
Toutefois, si les pèlerins sont aujourd’hui moins nombreux (2 000 au lieu de 8 000 avant l’attentat), la tradition reste vivace et il est permis de penser qu’elle ne s’éteindra pas de sitôt. Si elle est en sommeil aujourd’hui, nul doute qu’elle se réveillera dès le retour à de meilleures conditions.