Longtemps sous-estimé, le harcèlement à l’école touche 700 000 élèves. Tout parent peut être concerné, un jour ou l’autre, par cette tragédie. Mais il le saura tardivement car l’enfant ne parle pas. Par peur, par honte. Témoignages.Moqueries. Insultes. Affaires abîmées. Coups. Surnoms méchants. Jets d’objets. Exclusion. Pris isolément, ces actes peuvent être considérés comme des enfantillages de cour de récré. Additionnées et répétées dans le temps, ces micro-violences relèvent du harcèlement. Le développement accéléré des techniques de communication apporte au harcèlement une “extraordinaire caisse de résonnance”. Selon une enquête de Catherine Blaya, professeure en sciences de l’éducation et présidente de l’Observatoire international de la violence à l’école, 42% des élèves interrogés au collège ont été victimes de cyberviolences et 6 % de cyberharcèlement.
Ce fléau atteint établissements sensibles comme huppés, privés comme publics, primaire comme collège, enfants timides comme bout en train. Pas de profil type mais une même relation triangulaire : un harceleur, un harcelé et des témoins. « S’il n’y a pas de spectateurs, il n’y a pas de harcèlement. Certains le font activement pour ne pas s’exclure du groupe ; d’autres se contentent de rire, encourageant ainsi les meneurs à continuer », décrypte Noémya Grohan dans “De la rage dans mon cartable” (éd. Hachette Témoignage, janvier 2014).
Les agresseurs sont souvent loin de réaliser le désastre qu’ils provoquent. La victime ne comprend pas ce qu’on lui reproche. Mais à force d’être un punching-ball, elle finit par se persuader d’être une moins que rien. « Quelque soit le comportement adopté, j’étais perdante. Alors je me laissais faire », poursuit Noémya qui intervient sur demande dans les établissements. Plus que les coups, ce sont les mots qui détruisent à petit feu. Les dégâts peuvent être dramatiques : décrochage scolaire, dépression, désocialisation. Pour certains, la mort semble être la seule solution. Jonathan s’est immolé par le feu pour mettre fin à son calvaire qui a duré six ans. Personne n’en savait rien, il s’est confié dans un livre, ’’Condamné à me tuer’’ (XO editions, oct. 2013).
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le responsable n’est pas seulement le harceleur mais l’établissement. C’est lui qui doit intervenir, stopper la loi du plus fort. Malheureusement, combien le font réellement ? Dans les divers témoignages, sur les forums ou dans les livres, le corps enseignant se méprend sur la nature des actes, préfère ne rien voir ou, pire, étouffer l’affaire.
Le harcelé est alors obligé de changer d’école, subissant ‘’la double peine’’, pour reprendre le mot d’Eric Debardieux dans ‘’L’école face à la violence, décrire, expliquer, agir’’ (Éd. Armand Colin, 2016). Chercheur puis délégué ministériel à la violence scolaire, il a rompu la loi du silence dès 2013 en obligeant les établissements à agir et réagir. « Pendant des décennies, les adultes ont mal interprété le harcèlement. Ils pensaient à tort que c’était quasi normal et que la victime devait apprendre à se blinder ».
Depuis, l’Education Nationale œuvre chaque année pour la lutte contre le harcèlement : elle a mis en place des kits pédagogiques, nommé des référents académiques (310 actuellement), formé des professeurs, généralisé les ambassadeurs lycéens qui assurent une sensibilisation auprès de leurs pairs, réalisé des clips de sensibilisation. Et en 2017, mis en place un numéro vert unique – le 3020 – et un nouveau site Internet avec de nombreuses ressources pour les professionnels, les parents et les élèves. Bonne nouvelle : cette politique menée porte ses fruits : une enquête HSBC de 2016 montre une baisse de 15 % du harcèlement au collège (33% en 6e).
Jacqueline*, 54 ans, un enfant, en couple, directrice d’une école de danse
« Pierre était en sixième quand tout a commencé. Je n’ai rien vu venir ou, plutôt, j’ai mal interprété les perches qu’il me tendait. Il sortait le dernier du collège, je lui reprochais de me faire attendre ; son sac était sale, je lui demandais de prendre soin de ses affaires ; il me disait qu’on le traitait de ‘’campaillette’’, je lui conseillais de faire des efforts pour se faire apprécier de ses camarades. Je n’avais pas relié tous ces signes entre eux. A la maison, c’était un enfant si mignon, plein d’humour ! Je n’avais pas non plus saisi que sa boulimie de lecture était son refuge.
Jusqu’à ce soir de mars où je l’ai retrouvé pendu à son lit gigogne. L’horreur. Nous avons beaucoup parlé, beaucoup pleuré. Il m’a balancé qu’au collège, on lui vidait la poubelle dans son cartable, on lui enlevait ses chaussures pour les piétiner, on le poussait du haut des escaliers, on lui donnait des coups de pieds dans le dos. Les paroles le meurtrissaient davantage – ‘’tu es un déchet de la société’’, ‘’une poubelle’’, ‘’’tu ne sers à rien’’, ‘’ta mère en string’’ – , il avait fini par y croire.
Toute cette méchanceté venait d’un garçon de sa classe qui avait réussi à liguer tout le monde contre Pierre, même ses camarades de primaire. Mon fils vivait un enfer depuis la rentrée. J’étais abasourdie, choquée. Que lui reprochait-on au juste ? Pierre ne le savait même pas lui-même. A la sortie de l’école, j’ai demandé à ce garçon de laisser tranquille mon fils. En vain : il m’a envoyée balader de façon très vulgaire et le harcèlement a continué, de façon plus insidieuse.
J’ai été voir chacun de ses profs mais je les ai sentis très distants, indifférents. Pareil pour le directeur, le médecin scolaire ou l’association des parents d’élèves. C’était clair, l’établissement voulait étouffer l’affaire. Sous peine de nuire à sa réputation ? Dans ce combat, j’étais seule. Mon ex mari ne voulait pas intervenir de peur d’être violent et les deux autres mamans, qui me suivaient au début parce que leurs enfants avaient été aussi harcelés, m’ont lâchée. Elles ont eu peur.
J’ai enlevé Pierre de la cantine pour limiter son temps à l’école et écrit une lettre au ministre et au recteur. Une équipe Mobile de Sécurité Académique est intervenue en juin. Leur conclusion ? Déplacée. ‘’Ce n’est pas du harcèlement au sens où on l’entend mais une perception du harcèlement sur un enfant sensible. Le phénomène de classe n’a rien fait pour accentuer’’. La classe n’a rien fait pour l’arrêter…
Pour autant, Pierre n’a pas voulu quitter son collège. En cinquième, il a changé de classe mais subi une pression de la part des profs : refus de lui faire rattraper les cours pendant ses absences – il était suivi le mardi après-midi par un psy à la Maison des adolescents – et propos accusateurs, tel que ‘’vous êtes immature’’.
En février, deux événements l’ont achevé : un zéro à une interro d’anglais pour laquelle il n’avait pas pu rattraper le cours et une observation en vie scolaire. Il a refait une tentative de suicide, une semaine d’hospitalisation. A sa sortie, j’ai trouvé un autre collège formidable qui, peu à peu, lui a redonné confiance en lui et dans l’école. Le directeur s’est énormément investi, les élèves l’ont vraiment accueilli, les profs l’ont valorisé, encouragé et choisi de le faire passer en quatrième malgré un bulletin médiocre. Aujourd’hui, il est en troisième et c’est la première fois que je le vois vraiment heureux. J’avais oublié qu’il pouvait sourire. D’ailleurs, il lit beaucoup moins ! Il a des amis, il n’est plus ‘’transparent’’ comme il le souligne.
Le prof de SVT a réalisé une vidéo avec ses élèves pour parler du harcèlement et Pierre a témoigné. Il a pu enfin être reconnu dans son statut de victime. Il garde des séquelles, je ne peux pas, par exemple, prononcer, le mot ‘’poubelle’’. Il a la peur de l’inconnu, le poids de la honte et la frustration de ne pas avoir pu se venger, « c’est moi qui ait été obligé de partir et qu’on a montré du doigt », me dit-il encore.
En revanche, ses cauchemars et sa phobie de la foule s’atténuent peu à peu, il accepte de rentrer seul du collège. Et moi ? Je ressens une haine, non pas contre le harceleur – ça reste un enfant même si je ne l’excuse en rien – mais contre le collège qui a fermé les yeux. Pire, ils ont dénigré sa souffrance. Ils lui ont pris son insouciance d’enfant ».
*Jacqueline a écrit le postface du roman ‘’L’Enfer au collège’’ d’Arthur Ténor (Milan Poche 2012, 9-10 ans)
Juliette, 38 ans, deux enfants, mariée, graphiste
« Avec mon fils de 13 ans, nous avons un rituel le soir, des gratouilles dans le dos, lumières éteintes. C’est lors d’un de ces moments qu’Alexandre m’a balancé ce qu’il subissait au quotidien dans sa classe de la part de trois élèves. Des moqueries, des frappes dans le cou, des mises à l’écart pour jouer au foot ou tout autre jeu collectif. Des brimades répétitives qu’il vivait depuis la rentrée. Depuis trois mois.
Ma première réaction a été d’essayer de comprendre ce qu’il provoquait chez ces enfants pour qu’ils soient aussi méchants avec lui. Alexandre a reconnu qu’il était peut-être un peu collant avec eux, qu’il faisait « le débile » pour attirer leur attention, qu’il se ralliait à leur avis. J’ai alors eu une parole peut-être un peu dure mais je lui ai fait comprendre que ces enfants ne voulaient pas de lui et que ça ne servait à rien qu’il cherche à s’en faire des amis. Mon mari a eu une réaction toute autre. Il lui a dit de frapper un grand coup. Pour se faire respecter. J’ai été horrifié par son conseil, moi qui ait élevé mon fils dans la non-violence. D’ailleurs, la réaction de mon fils a été immédiate : ‘’je ne peux pas, ils sont plus forts que moi’’.
Dans la semaine qui a suivi j’ai pris rendez-vous avec un psychologue. Alexandre n’avait plus du tout confiance en lui, il parlait toujours les épaules voutées et les yeux baissés. Puis j’ai mis un mot dans le cahier de correspondance pour demander un rendez-vous avec le professeur principal. Elle a pris tout de suite en considération la gravité du problème. Elle nous a reçus, écoutés puis elle a demandé aux professeurs d’être vigilants. Enfin, elle a consacré une heure à la classe pour parler du vivre ensemble.
Tous les soirs, nous demandions à Alexandre si son harcèlement avait cessé. Il nous racontait par bribes les méchancetés et puis, au bout d’un moment, il en a eu marre de nos questions pressantes. Il éludait nos questions. La seule chose que je savais, c’est qu’il était seul dans la cour, seul à la cantine. Aucun de sa classe ne voulait s’approcher de lui. J’en étais malade. Et puis un soir, vers janvier de la même année, il est revenu triomphant : il s’était défendu en ripostant par des coups. J’avoue que nous étions super heureux. Un peu moins quand il est revenu une semaine plus tard avec une heure de colle pour cause de bagarre !
Alexandre a terminé l’année, toujours seul mais avec en tête qu’il fallait fuir ses anciens harceleurs. C’est seulement au deuxième trimestre de l’année d’après qu’il s’est fait une bande de copains. Il était tellement obnubilé par ses nouvelles amitiés que toutes ses notes ont chuté. Mais nous, nous avons crié victoire ! »
Sophie, 42 ans, trois enfants, mariée, commerçante
« J’ai mis des mois avant de comprendre que les bleus dans le dos de ma fille étaient plus que des bagarres de cour de récré. C’est son changement de comportement à la maison qui m’a mis la puce à l’oreille : Louise, qui était alors en cinquième, est devenue agressive, en permanence sur la défensive.
Je l’ai fait parler un soir en rentrant du collège, elle a tout déballé : on l’invectivait, répandait des rumeurs sur elle, certains avaient essayé de l’étrangler. Toute la classe la rejetait, même sa meilleure amie l’avait laissée tomber. Ma fille étant le bouc émissaire, elle avait peur d’être exclue à son tour. Pourquoi tant d’acharnement ? Je ne comprends toujours pas aujourd’hui. Ma fille est mignonne, s’habille bien, travaille bien à l’école. Au début, Louise se défendait. Elle a une forte personnalité et n’est pas du genre à se laisser faire. Mais comment se défendre quand c’est toute une classe qui frappe !
Louise m’a avouée ne pas s’être confiée à moi tout de suite, par honte. Au fil des mois, elle s’est forgée une carapace, elle subissait sans rien dire. J’ai été voir les profs qui m’ont répondu qu’ils allaient faire quelque chose. Concrètement, ils n’ont rien fait. Même pas réuni la classe. Ils ont reproché à ma fille de ne leur avoir rien dit, tout en lui réclamant des preuves ! J’ai compris, en me renseignant sur le harcèlement, que les enseignants qui ne sont pas formés à cette problématique ont dû mal à saisir l’ampleur et la gravité du problème. Ils peuvent même conclure que l’enfant a dû faire quelque chose pour mériter ça. C’est ce qui s’est passé pour Louise. Le corps enseignant a fait bloc pour étouffer l’affaire.
L’année suivante, les profs l’ont stigmatisée comme ‘’enfant à problèmes’’. Certains lui disaient même de se taire quand elle posait des questions en cours. Dans la cour, les élèves multipliaient les méchancetés, du genre : ‘’tu t’es plains à ta maman, pauvre petite rapporteuse’’. J’ai alors contacté l’association Noélanie qui m’a écoutée, renseignée sur les droits des parents qui ont un enfant victime de harcèlement scolaire et sur tous les aspects psychologiques et juridiques en question. Mon mari et moi avons porté plainte contre l’école. Tout ce que nous avons récolté, c’est une réputation de parents pénibles. Une étiquette qui nous a poursuivi quand nous avons changé Louise de collège en février dernier.
Elle n’a reçu aucun soutien des nouveaux profs alors qu’ils connaissaient son dossier. Et le pire dans l’histoire, c’est que Louise a croisé de nouveau le chemin de harceleurs depuis la rentrée. Est-ce parce qu’elle est devenue tellement fragile qu’elle les attire ? Qu’elle est devenue tellement mal à l’aise en groupe qu’elle en est tout de suite exclue ? Louise commence à se sentir vraiment différente et perd énormément confiance en elle. Elle se dit que si elle est mal aimée, ce n’est pas pour rien et qu’elle doit sûrement le mériter. Je suis désemparée. J’ai pris rendez-vous avec un psychologue pour la suivre et j’envisage de déménager dans un autre département ».