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“Tron” ou l’avènement du Christ à l’ère numérique ?

Tron © CDM

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Camille de Montgolfier - publié le 29/04/17
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Alors que l’horizon transhumaniste se fait de plus en plus tangible, il s’avère particulièrement saisissant de revisiter le film culte, Tron, de 2010 dans une perspective chrétienne. 

Sorti en 2010, Tron L’Héritage est le remake du film culte Tron. Précurseur à la fois par son esthétisme et ses thèmes, le premier Tron fut un échec commercial. Il est longtemps resté une sorte d’ovni du catalogue de production Disney. Cet échec est en partie dû à l’avant-gardisme  du film qui a déconcerté le public. Sorti en 1982, Tron précédait la création d’internet. À part une frange de geeks, peu de gens avaient saisi le caractère visionnaire du film, où un concepteur de jeu vidéo se retrouve prisonnier de sa création virtuelle.

À présent, Tron est reconnu à sa juste valeur et cette reconnaissance a permis la production d’un remake qui est à la fois une suite et un reboot de l’œuvre originelle.

Attendu avec une certaine crainte par les fans du premier film, Tron : L’Héritage se révèle époustouflant, à la fois par son esthétique, sa musique et les thèmes qu’il aborde. Si le Tron de 2010 rend plusieurs hommages au Tron de 1982, il s’est affranchi du premier, grâce à un bond de 20 ans dans le futur, qui fait de son héros le fils de Kevin Flynn, protagoniste du premier Tron.

Il peut être difficile de croire qu’un film commercial porte un message plus profond sur l’évolution des notions de réel, de virtuel, et sur le rapport de l’homme à ses créations numériques. Pourtant, Tron : L’Héritage reprend les mythes fondateurs de notre civilisation et les transpose à l’ère de l’avènement du virtuel.

Une esthétique futuriste époustouflante

Tron est d’abord une œuvre exceptionnelle d’un point de vue artistique. Le film ne prétend pas faire une analyse profonde de la psychologie et des sentiments humains. C’est un film à dimension épique comme l’est Star Wars, porteur d’une fresque narrative qui fait appel à l’imaginaire chrétien.

Kevin Flynn, créateur génial d’un monde virtuel nommé la Grille se retrouve pris au piège de sa propre création. 20 ans plus tard, son fils Sam pénètre à son tour dans le jeu vidéo. Il découvre que la Grille est sous le contrôle de Clu, un avatar de son père qui s’est affranchi de son créateur.

Le film offre des séquences hallucinantes de combats aux disques et de courses. Les personnages, revêtus de combinaisons noires aux coutures en néons fluos, s’affrontent grâce à un disque noir qu’ils portent dans le dos et qui contient leur programme informatique personnel. Ce disque est une forme d’âme numérique des personnages.

L’esthétique minimaliste et technologique est l’une des plus belles formes de futurisme qu’il ait été donné de voir à l’écran, et renforce la dimension virtuelle du monde. On est partagé entre effroi par son aspect totalitaire et une certaine fascination pour l’avancement technologique qu’il représente. L’esprit geek est omniprésent dans le film, et reprend le visuel du TRON de 1982 — dont l’esthétique était sans doute trop avancée pour l’époque pré-internet — en présentant une sorte de version futuriste du futurisme de 1982.

Les séquences de combats aux disques, qui font exploser les programmes vaincus en milliers de pixels, sont épileptiques et vibrent au rythme du mix des Daft Punk. Le binôme français de musique électronique a réalisé la bande originale intégrale du film, qui est sans doute l’une des meilleures bandes-son de musique électronique depuis celle que Paul Williams — inspirateur des Daft Punk — avait réalisé pour Le Fantôme du Paradis en 1974. Leur composition sonore a d’ailleurs été récompensée de l’oscar 2011 du meilleur montage sonore pour les morceaux Derezzed et The game has changed.

L’immersion du créateur dans sa création

Le postulat de départ, qui présente un programmeur de jeu vidéo chargé dans son propre jeu est un thème classique, mis à part son aspect technologique nouveau. Il ne s’agit rien de moins que du thème chrétien de l’incarnation de Dieu et de sa venue sur terre. En faisant un parallèle entre le Nouveau Testament et Tron, avec le vocabulaire contemporain, on pourrait dire que Dieu s’est chargé sur terre par le biais d’un programme appelé Jésus, et que ce Jésus, portant Dieu en lui, est le Christ : l’union du programmeur et du programmé. L’emploi de ces termes barbares peut surprendre mais c’est pourtant bien ce thème de l’incarnation qu’offre Tron. Ce paradoxe du créateur dans la création inspire les arts depuis 2000 ans, et trouve aujourd’hui un nouveau terrain d’expression avec l’avènement du numérique. L’homme se trouve pour la première fois en position de dieu vis-à-vis des programmes qu’il crée.

Au XIVe siècle, à propos du mystère de l’incarnation, saint Bernardin de Sienne écrit que : « L’éternité vient dans le temps, l’immensité dans la mesure, le créateur dans la créature, Dieu dans l’homme, la vie dans la mort, l’incorruptible dans le corruptible, l’infigurable dans la figure, l’inénarrable dans le discours, l’inexplicable dans la parole, l’incirconscriptible dans le lieu, l’invisible dans la vision, l’inaudible dans le son, l’impalpable dans le tangible, le seigneur dans l’esclave, la source dans la soif, le contenant dans le contenu, l’artisan dans son œuvre, la longueur dans la brièveté, la largeur dans l’étroitesse, la hauteur dans la bassesse, la noblesse dans l’ignominie, la gloire dans la confusion ».

C’est cette immersion, a priori impossible, du créateur dans le créé, du programmeur dans son programme, que montre Tron. Au-delà d’un divertissement grand public, d’une réussite visuelle et esthétique et de l’accomplissement du rêve geek d’entrer dans un jeu vidéo, Tron porte une réflexion plus profonde sur le rapport du créateur à sa création.

Disparition de la distinction entre réel et virtuel

En immergeant complètement des humains dans un monde de pixels, Tron abolit la distinction entre le réel et le virtuel, le monde palpable et les pixels.

À nouveau, si le sujet peut paraître nouveau car lié à l’essor de la technologie numérique, il ne s’agit en fait que de la révision du mythe classique de l’effacement des frontières entre réel et imaginaire. Le numérique, en particulier, sous sa forme de jeu vidéo n’est que la projection pixelisée de l’imaginaire qui peuple l’esprit humain. Le programmeur pixelise son imagination pour lui donner vie. Les arts foisonnent de récits fantastiques où l’imaginaire vient peupler le monde réel. Il s’agit ici du même concept mais à l’inverse : ce ne sont pas les pixels qui envahissent le monde réel, mais un homme réel chargé dans son imaginaire.

C’est cette incarnation — ou devrait-on dire, pixellisation — du créateur dans sa création qui relie virtuel et réel pour en abolir la frontière. Tron crée une passerelle entre les deux, en l’espèce la Grille dans laquelle le programmeur et son fils se retrouvent.

En reprenant un thème ancien, le film fait un aggiornamento qui pose la question de la frontière entre réel et imaginaire sous sa forme numérique. Tron consacre l’hyper-réalité vers laquelle les smart technologies ou « objets intelligents » nous amènent, et nous perdons, peu à peu, notre capacité à distinguer ce qui est réel de ce qui est virtuel puisque si le réel peut entrer dans le virtuel et si le virtuel peut envahir le réel, comment dire ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas ?

Perte de contrôle du créateur sur sa création

La créature de Frankenstein est le paradigme en la matière, mais Marie Shelley n’a pas inventé ce thème. Dans Tron, il ne s’agit plus d’un monstre créé à partir de morceaux humains mais un monde créé à partir de lignes de code, où des centaines de personnages indépendants vivent.

L’angoisse de la perte de contrôle sur la création est un thème de plus en plus récurrent dans les arts, avec l’essor du numérique et la progression effarante de la technologie, au point qu’on se demande si l’homme va parvenir à la contrôler, ou si la technologie ne risque pas d’arriver à un point d’autonomie où elle pourra se passer de l’homme.

C’est exactement ce qui se produit dans Tron, et d’une façon particulièrement intéressante : le créateur, Kevin, demande à son avatar virtuel Clu de rendre son monde parfait. Clu, avec le froid raisonnement d’un programme, en arrive à la conclusion que pour que le monde soit parfait, il faut en éliminer le seul élément qui ne l’est pas : l’homme.

Devenue autonome, la création échappe à son créateur et l’emprisonne. C’est une façon pour le moins originale d’interpréter la vision d’un Dieu qui se serait « lié les mains face au monde », pour reprendre les termes de Simone Weil dans La Pesanteur et la Grâce, afin de laisser sa création libre de se développer et de venir à lui.

La Grille est l’univers cybernétique — c’est-à-dire doté de la capacité de s’auto-gérer — conçu par ordinateur. Kevin Flynn fait ici office de dieu créateur de la Grille, dans lequel il se retrouve prisonnier. Mais la question de savoir s’il est fait prisonnier où s’il s’est volontairement dépossédé de la possibilité de reprendre le contrôle de la Grille reste ouverte. Il est clair que Clu a essayé de se débarrasser de lui pour que le monde soit parfait, mais il n’est pas certain que Flynn n’ait pas décidé de rester jusqu’à ce que son fils vienne le trouver et sauver la Grille.

Clu, l’avatar de Kevin et despote tyrannique de la Grille est une version virtuelle de Lucifer, l’ange rebelle. Dans Tron, il prend le contrôle du monde et traque son créateur, pour obtenir son disque-matrice, s’échapper de la Grille et envahir le monde réelle. Il existe ici un parallèle entre Lucifer chassé du paradis mais qui assoit son règne sur le monde en attendant de pouvoir repartir à la conquête du paradis.

Le fils vient sauver le monde créé par son père

Sam Flynn, le fils du programmeur, découvre le monde créé par son père et où celui-ci est enfermé depuis 20 ans. Il se charge dans le programme et découvre un monde totalitaire soumit à la tyrannie de l’avatar Clu. La façon dont les autres programmes traitent Sam a une dimension christique évidente, notamment lors d’une scène de combat électrisée par le son des Daft Punk qui font d’ailleurs une apparition en DJ de la boîte de nuit et dont le gérant présente Sam à ses ennemis par une tonitruant : « Voici le fils de notre créateur ! »

Le personnage de Sam Flynn est la figure messianique de Tron, bien qu’il ne soit pas venu à dessein de sauver le monde créé par son père mais seulement de retrouver celui-ci. Dans sa quête, il va rencontrer le personnage de Quorra, un programme dont l’apparence autant que le comportement d’héroïne guerrière à des ressemblances avec Jeanne d’Arc. Le réalisateur du film, Joseph Kosinski, a déclaré dans une interview avoir créé l’apparence de Quorra, notamment sa coiffure, à l’image de la chef de guerre et sainte.

Si Tron n’est pas le chef-d’œuvre des années 2000, il porte un univers et une esthétique remarquable. Sa relecture des thèmes fondateurs du christianisme transposés dans un monde virtuel et technologique en font un film qui mérite d’être vu et apprécié pour sa dimension épique.

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