L’Église brésilienne mène une lutte risquée contre la pratique du “travail esclave” aux confins de l’Amazonie. “Nous ne portions pas de chaînes”, mais nous étions des esclaves, assure Ronival, qui, comme des milliers d’autres travailleurs-esclaves a été libéré grâce à l’action de la Commission pastorale de la terre (CPT). Ronival a 69 ans. Tout juste libéré, il est anémique et pèse 51 kg, il présente une fracture ancienne à la clavicule gauche, qui n’a jamais été soignée, et n’a pas de carte d’identité ni aucun document personnel.
Ils en font des fantômes
Ceux qui sont envoyés pour travailler dans la jungle amazonienne présentent un cas d’esclavage caractérisé. Les exploitants recrutent leurs victimes parmi les paysans sans terre. Dans les villages, où règne une extrême pauvreté, un “gato”, un intermédiaire, vient promettre un travail bien rémunéré, et donne 150 euros aux familles de ceux qui acceptent le marché. Ils ne savent pas qu’ils viennent de monnayer leurs vies. Les recruteurs les entassent ensuite dans un camion à bestiaux et les emmènent aussi loin que possible, à la limite des pistes carrossables, jusqu’à la jungle amazonienne. Ils ne savent pas où ils arrivent, et à la sortie du camion les attendent leurs “employeurs”, armés de fusils, sous la surveillance desquels ils doivent défricher la jungle. Le travail est harassant. Ils découvrent que leur salaire est très inférieur à celui promis et qu’ils doivent se fournir en nourriture auprès du “magasin” du propriétaire, qui pratique des prix prohibitifs ! Contraints de s’endetter pour survivre, ils sont prisonniers de leurs dettes. Les papiers d’identité sont confisqués, l’évasion très difficile : les fermes alentours sont complices. Il est même arrivé que des travailleurs-esclaves parviennent à s’échapper, s’adressent à la police et soient renvoyés auprès de leurs propriétaires. Une tragédie qui remonte à plusieurs décennies.
L’appel de Mgr Pedro Casaldáliga
En 1971, l’évêque émérite Mgr Pedro Casaldáliga, envoyé dans l’État du Mato Grosso, dénonçait déjà ces pratiques et participait à la création de la CPT, qui est l’une des commissions pastorales de la conférence des évêques du Brésil. Depuis, la CPT est devenue une instance incontournable pour la lutte contre l’esclavage. Elle a participé à la création de l’inspection du travail mobile au Brésil. Il s’agit de groupes d’inspecteurs qui travaillent systématiquement dans des régions dont ils ne sont pas originaires, de façon à ce qu’ils ne puissent pas être soumis à des pressions sur leurs famille. La CPT et l’inspection mobile travaillent de concert, la première informant l’autre des plaintes qu’elle reçoit.
Du déboisement au bulldozer au GPS
Le frère dominicain Xavier Plassat lutte depuis 25 ans, au sein de la CPT, contre l’esclavage au Brésil et décrit une évolution des méthodes des exploitants. “On imagine souvent que les travailleurs esclaves sont cantonnés à la frontière, mais c’est faux ! On en trouve dans toutes les régions du Brésil”, témoigne-t-il. Il a vu les méthodes d’exploitations de l’Amazonie et des hommes évoluer. Pendant les défrichages massifs, comme dans les années 80, où deux bulldozers reliés à des câbles de 100 mètres défrichaient des pans entiers de forêt, le gouvernement brésilien observait les coupes de bois illégales par satellite et agissait contre les trafiquants de bois, qui étaient aussi des “trafiquants de chair humaine” au regard des conditions qu’ils imposaient aux ouvriers. Mais les trafiquants s’adaptent à présent, ils demandent à des travailleurs pauvres de marquer au GPS des essences de bois rares, souvent le noyer du Brésil. Ils viennent ensuite abattre les arbres en question, sans que la coupe soit décelable avec les photos satellite.
Les lanceurs d’alertes menacés
Chaque année, la CPT recense les personnes exécutées par les propriétaires terriens. Le cas emblématique de Dorothy Stang, cette religieuse américaine assassinée dans l’État du Para, ne doit pas occulter que dans ce seul état , 770 personnes ont été exécutées pour avoir voulu freiner l’avancée des grandes propriétés agricoles, selon la CPT. Le frère Xavier Passat, lui-même, a reçu des menaces de mort pour avoir dénoncé l’assassinat de sept travailleurs pauvres, dont la mort avait été qualifiée “d’accidentelle” malgré la présence d’impacts de balles. Il dit ne plus craindre pour sa vie “je ne suis pas dans la région la plus dangereuse actuellement”, mais il craint en revanche un retour en arrière du code du travail brésilien. La destitution de l’ancienne présidente Dilma Rousseff au profit de Michel Temer s’est accompagnée de coupes budgétaires dans les domaines de l’éducation et de la santé.
Les outils de la lutte contre l’esclavage fragilisés
Il constate que l’inspection du travail mobile souffre de restrictions budgétaires. Il dénonce les lobbies qui s’activent pour restreindre la définition de l’esclavage, et constate que la “liste noire” qui mettait au pilori les entreprises employant des travailleurs esclaves n’a été publié cette année qu’après d’intenses pressions exercées par les défenseurs des droits de l’homme. Il avertit donc : non seulement la guerre contre l’esclavage n’est pas gagnée, mais elle perd du terrain !