Née en 1928, l’organisation que certains Coptes appellent avec crainte “le serpent”, brandit son objectif comme une bannière : répandre l’islam rigoriste partout. “Le Jihad est notre voie, la mort pour Dieu notre désir le plus cher” dit leur devise.La 34e Rencontre Annuelle des Musulmans de France, organisée par l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), a débuté vendredi 14 avril au Parc des expositions du Bourget (Seine-Saint-Denis). La plus importante manifestation musulmane d’Europe, mêlant meeting politique, forum religieux et foire commerciale, devrait accueillir jusqu’à lundi près de 50 000 visiteurs.
Si une invitation a bien été envoyée aux états-majors de tous les candidats en lice à l’élection présidentielle, il est peu probable que le moindre d’entre ne fasse le déplacement. L’UOIF, bientôt renommée “Musulmans de France” – au grand dam des autres organisations représentatives de l’islam de France – est en effet dans le collimateur de l’ensemble de la classe politique française. Des ténors de la gauche “laïciste” aux tribuns de la droite patriote, en passant par le centre-droit républicain, les condamnations fusent. “Il faut dissoudre les organisations qui se réclament des salafistes ou des Frères musulmans, et qui ont aujourd’hui pignon sur rue“, lançait encore récemment le candidat François Fillon.
Si elle réfute tout lien organique avec l’islam politique et obscurantiste de la confrérie égyptienne “frériste”, l’UOIF a pourtant complaisamment offert une large tribune à nombre de prédicateurs qui eux s’en réclament. Un temps semble-t-il révolu selon son président, Amar Lasfar : “Nous avons tiré beaucoup d’enseignements de ces critiques, qui nous ont été faites à juste titre. Aujourd’hui, nous sommes plus regardants sur les conférenciers.” Mais quelle est au juste cette idéologie “frériste” qui imprègne tant de diatribes rétrogrades de savants autoproclamés de l’islam, librement diiffusées sur internet ?
Cocktail d’anticolonialisme et d’islam radical
“Pour comprendre les Frères musulmans, regardez leur drapeau”, assure un égyptien copte anonyme en tapant sur son ordinateur. Il affiche le slogan : deux sabres sur fond vert, entourant un Coran et la devise en cinq points : “Dieu est notre but, le Prophète notre chef, le Coran notre Constitution, le Jihad notre voie, la mort pour Dieu notre désir le plus cher.”
En 1928, Hassan al-Banna monte en Égypte la société des Frères musulmans avec une douzaine d’autres personnes. En 1929, elle compte déjà 4 sections, 15 en 1932 pour atteindre le chiffre de 300 cellules en 1938. En 1949, on estime les Frères à 2 millions de membres répartis dans toute l’Égypte. Al-Banna est un brillant orateur, qui s’appuie sur le sentiment anticolonial de ses compatriotes pour les pousser dans un mouvement qui associe étroitement religion et politique.
“À cette époque, il y a toutes sortes de totalitarismes qui fleurissent, les tensions entre les peuples s’exacerbent, et l’islam radical est un levier puissant”. Le mouvement est profondément hostile aux réformes modernistes imprimées dans les années 50 à la société égyptienne par l’État laïc, socialiste et panarabe dirigé par Gamal Abdel Nasser. Les États-Unis s’en rapprochent, pour contrer l’influence soviétique de ce côté là de la mer méditerranée. Trente ans plus tard, c’est en Europe qu’ils essaimeront avec le soutien financier de l’Arabie Saoudite puis du Qatar.
L’islam de Médine comme référence
Pour comprendre l’islam tel qu’il est assumé par la confrérie, il faut revenir brièvement aux sources. Les versets du corpus coranique ont subi deux influences parfois contradictoires, qui correspondent aux deux périodes de la vie du prophète de l’islam, Mahomet. Celle du temps passé à la Mecque (610-622) et celle de la conquête de Médine (622-632). Les versets dits “médinois”, ultérieurs à ceux dits “mecquois”, s’éloignent du récit de “l’histoire sainte” de la révélation coranique, des prescriptions purement religieuses ou des préceptes poétiques et imagés de pure spiritualité, pour introduire un corpus juridique plus étayé, mais également prescrire un prosélytisme plus rigide. Saisis de ce problème pourtant tranché dans le Coran lui-même (sourate 2 verset 86), les plus grands théologiens de l’islam sunnite (fidèle à la sunna, la règle religieuse, représentant près de 80% des musulmans, Ndlr) ont confirmé depuis le Xe siècle, que les versets de la période de Médine abrogeaient les versets antérieurs, composés à la Mecque. L’université musulmane d’Al Azhar, située au Caire, plus haute autorité actuelle de l’islam sunnite, porte aux yeux de notre interlocuteur copte une responsabilité écrasante dans le maintien de ce principe de l’abrogation : cette université aurait pourtant l’autorité nécessaire pour le remettre en cause et favoriser la prédominance des versets plus “souples”. S’appuyant sur les versets du Coran de Médine, les Frères musulmans présentent ainsi les puissances occidentales – et ceux qui tentent d’inscrire les pays arabes dans leur sillage – comme des “kouffars”, des mécréantes, contre lesquelles le djihad était un devoir sacré.
La “pyramide” pour changer la société
Dès leur origine, les Frères musulmans ont manié la théologie en même temps que la politique. Pour presser l’avènement d’une civilisation islamique mondiale, ils partent de l’individu, qu’il faut éduquer : l’individu doit influencer son foyer, puis le peuple doit réclamer et obtenir un gouvernement islamique. Cela s’obtient notamment par la formation des imams, d’où le problème que rencontrent aujourd’hui les pays occidentaux, confrontés à des imams radicaux formés en Égypte ou dans la péninsule arabique. Ensuite, il faut rétablir le califat, qui regrouperait tous les pays musulmans. Enfin “reconquérir l’Occident” pour atteindre le “Tamkine planétaire, la soumission du monde à l’islam. Ces “strates de pyramides” sont décrites par d’anciens Frères musulmans comme Mohamed Louizi. Pour éduquer l’individu, ils accordent une grande importance aux associations de jeunes musulmans et aux organisations humanitaires. Puis, quand ils pensent qu’ils sont assez puissants pour prendre le pouvoir, ils tentent de s’en emparer d’une façon ou d’une autre.
La Syrie, un cas d’école
En Syrie, par exemple, les Frères tentent de s’imposer par une série d’actions terroristes, “l’insurrection islamique” qui dure de 1976 à 1982. Ils échouent à assassiner le président Hafez el-Assad en 1980, et l’insurrection est sévèrement réprimée par le parti Baas (un parti frère du même parti Baas égyptien fondé par Nasser trente ans plus tôt, socialiste et laïc). Après cette tentative, ils présenteront un visage plus avenant. En mai 2001, les Frères musulmans syriens publient une déclaration à Londres dans laquelle ils rejettent la violence politique et appellent à un État démocratique moderne. Pourtant, dix ans plus tard, ils soutiendront les rebelles de la légion Cham, et probablement d’autres groupes d’opposants, qui tentent de démettre le fils d’Hafez, Bachar el-Assad, de ses fonctions de président.
Les “ultras” rongent leur frein
En près d’un siècle d’existence, l’organisation a bénéficié de nombreux soutiens : États-Unis, Qatar, Arabie Saoudite… En Israël, les Frères musulmans ont participé à la création du Hamas, afin de créer des dissensions dans la “résistance” palestinienne, dominée par le Fatah de Yasser Arafat (laïc et imprégné de marxisme). En Égypte, le président Anouar el-Sadate avait pactisé avec les Frères musulmans, pour les inclure dans le jeu politique et passer leur crédibilité au crible de l’opinion, avant d’être assassiné par des terroristes issus d’une mouvance “frériste” rebelle.
Les alliés les plus constants des Frères musulmans demeurent les membres de la dynastie royale des Saoud et leurs proches. Hassan al-Banna admirait cette dynastie, qui tisse un lien d’influence réciproque avec les Frères musulmans, et leur fournit un soutien financier important. Elle applique sur son territoire la charia, dans la plus stricte application des recommandations de l’organisation. Pourtant l’Arabie Saoudite classera les Frères musulmans au rang d’ “organisation terroriste”, à la suite de l’Égypte, en 2014. La dynastie saoudienne semble s’inquiéter aujourd’hui de la pérennité de son pouvoir, consciente que les Frères musulmans souffrent d’une instabilité chronique. L’organisation est en effet perpétuellement dépassée en son saint par les “ultras”, fatigués d’attendre l’avènement de l’islam et fustigeant la tiédeur des dirigeants de l’organisation. Beaucoup ont tenté de les utiliser à des fins clientélistes ou électoralistes, mais l’expérience a prouvé qu’ils n’en tiraient jamais profit très longtemps…