La décision récente de la Cour de justice européenne, portant sur deux affaire relatives au foulard islamique, menace-t-elle, par ricochet, le port de la croix ?Une entreprise privée peut interdire à ses salariés le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux. C’est ce que a indiqué ce mardi 14 mars la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) dans un arrêt portant sur deux affaires relatives au foulard islamique.
Dans chacun de ces cas – l’un en Belgique, l’autre en France -, une salariée de confession musulmane avait été licenciée par son employeur en raison de sa volonté persistante de porter son foulard islamique sur son lieu de travail, malgré les plaintes de clients. Toute la question est de savoir si cette décision menace par ricochet le port discret de la croix en particulier.
Ce que dit le code du travail
En France, le code du travail prévoit que l’employeur ne peut interdire de façon générale et absolue à ses salariés de manifester leurs convictions religieuses dans l’entreprise (article L. 1132-1). Il peut néanmoins apporter des restrictions à la liberté religieuse si elles sont justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché.
D’après l’ancienne Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE), deux types de justification peuvent être admis : les impératifs de sécurité et de santé au travail et la spécificité des tâches à accomplir (délibération n° 2009-117 du 6 avril 2009).
Dans la très médiatisée affaire Baby Loup, la cour de cassation avait ainsi jugée valable la clause d’un règlement intérieur qui imposait au personnel d’une crèche une obligation de laïcité et de neutralité en raison des conditions de fonctionnement d’une crèche, qui suppose un contact direct avec des salariés avec les parents et les enfants (assemblé plénière, 25 juin 2014, n° 13-28.369).
La poursuite par l’employeur d’une politique de neutralité vis-à-vis de ses clients
Dans les affaires que vient d’examiner la CJUE, était en cause une entreprise privée fournissant des services de réception et d’accueil et une entreprise de conseil en informatique. Il n’est donc pas question de protéger de préserver de jeunes enfants d’influences religieuses non choisies, mais plus largement de préserver un certaine image de l’entreprise vis-à-vis de ses clients. La Cour distingue deux cas de figure.
Une entreprise peut ainsi interdire dans son règlement intérieur le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux. Il n’y a pas là de discrimination illégale si l’interdiction est justifiée par un objectif légitime et proportionné au but poursuivi. Ce but peut être « la poursuite par l’employeur, dans ses relations avec ses clients, d’une politique de neutralité politique, philosophique et religieuse ».
En revanche, s’il n’existe aucune règle interne qui interdise expressément le port de tels signes, l’employeur ne peut licencier une salariée au seul motif que certains clients refusent de voir leurs services assurés par une salariée voilée. Seules des conditions très limitées peuvent justifier un tel licenciement. Des considérations subjectives, liées à la volonté de l’employeur, ne suffisent pas.
Comment savoir si je peux porter une croix ou une médaille dans mon entreprise ?
II faut d’abord tenir de la nature de l’activité de son entreprise et du rôle que l’on y occupe. Il est en effet compliqué, sinon impossible, d’interdire à un salarié qui n’est pas en contact avec des clients et qui n’a pas de fonction de représentation de la société de porter un signe religieux visible mais discret, tel qu’une médaille ou une croix.
Dans le cas contraire, il faut se référer aux règles internes de l’entreprise : interdisent-elles expressément le port de signes religieux ? Si oui, le port d’une médaille ou d’une croix peut s’avérer préjudiciable pour le contrevenant, en particulier quand est en jeu l’image de l’entreprise à l’extérieur.
Mais si le règlement demeure silencieux sur la question, les risques sont nuls. Les desideratas du client ne suffisent pas. L’appréciation de la Cour est très stricte sur les cas qui pourraient justifier l’interdiction de porter un signe religieux en l’absence de texte. Il faudrait une raison très particulière et objectivement liée à l’objet social et à l’activité de l’entreprise. Elle semble en réalité impossible à caractériser.
En effet, si l’Union européenne accepte des différences de traitement justifiées par l’éthique de l’entreprise, c’est pour tenir compte du droit des églises et des autres organisations publiques ou privées, telles des écoles, dont l’éthique est fondée sur la religion ou les convictions, d’employer des personnes ayant une attitude de bonne foi et de loyauté envers l’éthique de l’organisation. Il est par exemple légitime pour une école chrétienne d’embaucher un professeur de confession chrétienne pour dispenser des cours d’éducation religieuse.
En résumé, l’arrêt de la Cour de justice de l’Union Européenne vient confirmer que le port de signes religieux discrets dans des entreprises privées peut s’avérer problématique à une double-condition : que le salarié soit en représentation auprès des clients ou des partenaires de l’entreprises d’une part, et que le règlement de l’entreprise proscrive expressément ce port dans des situations de ce type. Le périmètre des restrictions demeurent donc circonscrit mais cet arrêt invite néanmoins à demeurer vigilant.