La célèbre encyclique du pape Pie XI est un réquisitoire implacable et visionnaire contre le régime d’Hitler.Dans les années 1930, l’Église en Europe est confrontée à l’arrivée au pouvoir de régimes totalitaires décidés à éradiquer la foi chrétienne. Le cas du fascisme est particulier, car dans une Italie imprégnée de christianisme, Mussolini n’a jamais osé attaquer l’Église de front, même s’il n’en pense pas moins. Pie XI a d’ailleurs attaqué la politique du régime dans l’encyclique Non abbiamo bisogno (1931) qui marque son opposition à l’interdiction des associations de jeunesse catholiques par les fascistes.
Face aux nazis, la situation est complexe. Des membres du Parti national-socialiste des travailleurs allemands (NSDAP) ont été excommuniés dans les années 1930 mais désormais les nazis sont au pouvoir. Hitler et ses collaborateurs ne cachent pas leur haine du christianisme et leur volonté d’éradiquer la foi chrétienne afin de purifier l’Allemagne en y instaurant une nouvelle pseudo-religion, le nazisme, qui est fondamentalement païen. Pourtant, malgré les dangers de la surveillance et de la répression policière auxquels sont soumis les fidèles allemands, Pie XI décide un acte majeur et risqué : la rédaction et la diffusion d’une encyclique dénonçant le nazisme.
Écrite dans le plus grand secret par Pie XI et son Secrétaire d’État Eugenio Pacelli, avec l’aide de plusieurs évêques allemands, l’encyclique Mit brennender Sorge (Avec une brûlante inquiétude) paraît le 10 mars 1937, même si elle est officiellement datée du 14 mars. Ce document est une charge contre le nazisme, désigné comme clairement incompatible avec la foi de l’Évangile. L’encyclique est publiée en allemand, fait exceptionnel, et imprimé à plusieurs milliers d’exemplaires distribués clandestinement dans les paroisses allemandes. Elle est lue en chaire le 21 mars, dimanche des Rameaux, suscitant la surprise du pouvoir nazi et de la Gestapo, qui n’avait pas vu venir le coup.
Pour préparer cette encyclique, Mgr Pacelli a rencontré à plusieurs reprises des évêques et des cardinaux allemands, dont Mgr von Faulhaber et Mgr von Galen, dont les opinions antinazies sont connues de tous. Nombreux sont alors les hommes politiques qui pensent que l’on peut s’accommoder avec les nazis, et que quelques concessions suffiront à sauver la paix européenne, comme la compromission de Munich l’illustrera en 1938. Pie XI et Mgr Pacelli ne sont pas de ceux-là. Ils sont convaincus de la dangerosité intrinsèque du nazisme et du risque de guerre qu’Hitler fait courir à l’Europe.
Une encyclique secrète
L’encyclique est ainsi imprimée et diffusée à travers toute l’Allemagne. Certains prêtres la cachent dans le tabernacle de leur église pour que rien ne puisse filtrer. Quand celle-ci est lue en chaire, l’onde de choc est immense. Hitler est furieux ; les catholiques qui en douteraient encore sont désormais informés que l’on ne peut rien attendre de bon de cette idéologie.
Le 19 mars 1937, Pie XI publiera une encyclique contre le communisme, Divini redemptoris, où celui-ci est qualifié de doctrine « intrinsèquement perverse ». Il ne faut pas voir dans cette publication une quelconque volonté de rééquilibrage de la part du Saint-Siège, mais la compréhension que ces deux systèmes sont les deux facettes d’un même danger totalitaire, une idéologie violente qui renie Dieu et veut l’éradiquer. Divini redemptoris doit bien se lire comme le pendant de Mit brennender Sorge.
Quels résultats ?
L’encyclique a apporté une victoire morale sur le long terme : aujourd’hui chacun peut constater que l’Église a vu juste et a bien perçu les dangers de ces idéologies. Mais à l’époque, le succès est faible. Les catholiques allemands sont davantage surveillés par la Gestapo tandis que les puissances démocratiques ne se mobilisent pas avec la vigueur espérée contre le national-socialisme.
Elle a toutefois permis de libérer la pensée et d’inciter nombre de catholiques allemands à entrer en résistance sans avoir le sentiment de trahir leur patrie. Intellectuellement armés grâce à ce texte, plusieurs catholiques ont ainsi mené un vigoureux combat contre Hitler conduisant beaucoup d’entre eux aux témoignage ultime, assassinés dans les prisons ou les camps de concentration du régime, à Dachau en particulier.
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