Dans l'émission Le Club 28' diffusée le 3 mars sur Arte, la porte-parole du réseau politique l’Avant-Garde, Julie Graziani, a suscité une vive controverse lors d'un débat sur l'avortement, en comparant les personnes atteintes de trisomie et les noirs. Sur Aleteia, elle entend préciser son propos et poursuivre la réflexion sur l'eugénisme.
Le 3 mars, sur un plateau télé, j’ai dénoncé l’horreur du racisme chromosomique en demandant s’il semblerait normal à quiconque « d’avorter un enfant parce qu’il est noir » tandis qu’on avorte tous les jours, dans l’indifférence générale, des enfants trisomiques à des stades avancés de la grossesse.
Par un de ces raccourcis baroques dont la pensée unique a le secret, certains ont eu l’idée de prétendre que j’avais « comparé les noirs avec les trisomiques », dans une intention dépréciative pour les premiers, comme s’il pouvait venir sérieusement à l’idée de quelqu’un d’assimiler la pigmentation de la peau à un handicap...
Il ne s’agissait évidemment pas de comparer deux personnes, mais deux époques et deux persécutions. Qu’est-ce que le racisme d’ailleurs, sinon une construction intellectuelle qui utilise des différences perçues pour exclure et discriminer ? Car il n’y a pas de races dans l’espèce humaine qui est une et indivisible.
De nos jours, le racisme fondé sur la couleur de la peau répugne ; il est acquis pour la majorité que de telles pratiques sont abominables. Pourtant, pendant quelques siècles, la bonne morale bien-pensante considérait tout à fait normal de réduire nos prochains en esclavage, puisque, comme ironisait Montesquieu en parodiant les ignares de l'époque, "les noirs n'ont pas d'âme".
De nos jours, un "racisme chromosomique", bien ancré, vit sa vie tranquillement dans la bonne conscience, pétri de ces préjugés selon lesquels un enfant trisomique va gâcher la vie de ses parents, sera nécessairement malheureux, dépendant et rejeté par tous, et qu’il vaut mieux, pour lui et pour les autres, qu’il ne vienne pas au monde. Ces enfants sont éliminés sur la base d’un test génétique, avant même de connaître l’ampleur du handicap dont ils seront, ou pas, affectés.
Ceux-là même qui n’ont pas compris que mon propos visait à réclamer des droits équivalents pour les personnes trisomiques manifestent, sans en avoir conscience, les préjugés qui les animent à l’égard d’une population humaine considérée comme un repoussoir, sans comprendre que les mêmes mécanismes d’exclusion sont à l’œuvre.
Et si, dans quelques siècles, nos descendants avaient compris l’horreur des avortements tardifs ? Si nos descendants pleuraient de honte en sachant que leurs ancêtres agissaient ainsi parce que ces enfants-là étaient différents, parce qu'ils gênaient, parce qu'ils n'avaient pas envie d'en prendre soin ?
J’en suis pour ma part convaincue et, au risque de choquer, j’ai jugé nécessaire, pour secouer les esprits, de télescoper deux époques, celle où le racisme fondé sur la couleur de la peau suscite spontanément la révolte et celle où l’eugénisme fondé sur une particularité génétique apparaîtra comme une barbarie d’un autre âge.
J'avais sous-estimé à quel point cela gênerait la bonne conscience de ceux qui pensent être des autorités morales, mais ferment les yeux sur les discriminations d’aujourd’hui et leur lot d’atrocités. J’avais sous-estimé la proportion de ceux qui pensent que les enfants trisomiques sont trop différents et qu’il n’est pas question, bien entendu, de se sentir solidaire d’eux.
Parce qu’il n’y a qu’un genre humain, parce que personne ne devrait être mis au ban de l’humanité, j’appelle de mes vœux le jour où la France, première parmi les nations à avoir proclamé l’égalité des droits, interdira, comme l’a fait en 2016, l’État de l’Indiana, l’avortement sélectif des fœtus, pour cause de « couleur, race, origine, sexe, diagnostic ou potentiel diagnostic d’une maladie ».