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Faut-il vraiment fermer les frontières pour résoudre la crise migratoire ?

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Christian Venard - publié le 15/02/17
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Le père Christian Venard réagit au débat qui agite la cathosphère depuis le début de l’année 2017. (2/2)


Lire la première partie de cet article ici :
“Non, le pape n’est pas responsable de la crise migratoire”


Accueillir l’étranger : une priorité

La question nécessite finalement des nuances de pensées théologiques qui semblent échapper à l’analyse journalistique ou politique. À l’inverse de ce qu’écrit Laurent Dandrieu, je ne vois pas dans l’enseignement ordinaire et constant du magistère depuis cinquante ans un refus de reconnaître les droits des peuples à disposer d’eux-mêmes, à se défendre, à préserver leurs spécificités. Bien au contraire. Les appels constants des papes modernes à l’Europe pour qu’elle retrouve ses racines en sont la preuve. Saint Jean Paul II frise parfois avec un messianisme patriotique polonais un poète polonais, Julius Slowacki fin XIXe, ultra fervent patriote annonce la venue d’un pape polonais ce que Jean Paul II s’attribuera ! Ses discours lors des voyages apostoliques en Pologne le soulignent notamment le tout premier où il revient comme “fils de la Pologne” jusqu’à son dernier ouvrage, Mémoire et Identité, où, n’en déplaise à Erwan Le Morhedec, il associe pensée identitaire et foi catholique. Il y a des chapitres entiers sur l’idée de Nation, son lien avec la Pologne, son passé toujours vivant, présent. Il a parlé à la France comme à une personne en la tutoyant (1981) et est venu à Reims en 1996.

Pour Benoît XVI, le rapport à la patrie est blessé chez les Allemands, mais il a exprimé aussi dans Ma Vie et dans son voyage apostolique en Bavière ses attaches patriotiques. Quant au pape François, il a gardé son passeport argentin au lieu d’en prendre un du Vatican… Il s’agit cependant de ne pas se tromper sur ces vraies racines : non pas un “catholicisme culturel” que je ne méprise pas, loin de là mais qui est bien insuffisant à répondre aux défis de la crise migratoire. Non, ces racines sont en particulier marquées par les exigences mêmes de l’Évangile  dont l’accueil de l’étranger, avec son fondement vétérotestamentaire, est une des marques de l’universalité de la Bonne Nouvelle en Jésus-Christ et sans lesquelles toute tentative de restauration d’une forme de “chrétienté” ne serait qu’un générique maurassien mal digéré !

Dépasser la dialectique

La pensée de l’Église n’est donc pas négation de ce qu’elle soutenait avant : le droit des peuples à se défendre et le devoir de charité envers la patrie— que l’on retrouve avec facilité dans le Catéchisme de l’Église catholique et tant de textes pontificaux. Laurent Dandrieu crée ici une dialectique dure. Or ce n’est pas le discours de l’Église, qui est plutôt remis en perspective et inversion de priorité. Désormais, dans un monde devenu un village — en acceptant la mondialisation comme un fait objectif certes bien imparfait dans ses modalités — l’accueil de l’étranger devient pour l’Église la priorité première au nom de la dignité humaine et de la justice. Il est anormal que 10% de la population mondiale usent de 90% des ressources et donc, il est compréhensible que les populations défavorisées se déplacent vers les lieux où ces richesses se concentrent. La défense de nos modes de vies, de nos patries, de nos valeurs devient une priorité seconde. Seconde ne veut pas dire niée, comme semble le penser Laurent Dandrieu. On regrette alors que notre auteur n’ait finalement fait que la moitié de son étude, qui se serait affinée, nuancée et enrichie en y ajoutant tout l’enseignement ecclésial sur les patries terrestre et le bien commun des Nations.

Ainsi, l’enseignement du magistère ordinaire, dans un domaine qui n’est certes pas de fide — dogmatique — mais qui touche à la dignité de la personne humaine et au partage des richesses de la Création, don de Dieu à l’Humanité, ne peut être traité comme une simple option dont je pourrais me débarrasser par quelques raisonnements politiques. Il devient un appel, pressant à la foi et à la charité des croyants — et au-delà d’eux de tout homme. Appel aussi à la générosité et à la confiance. C’est, in fine, un appel aux peuples d’Europe à la conversion du cœur. On ne voit pas quel discours autre un pape pourrait tenir.

Il m’amuse d’ailleurs de remarquer que Laurent Dandrieu en appelle au Camp des saints de Jean Raspail pour son propos. Livre, d’un pessimisme noir, dans lequel Raspail montre un pape qui tient un discours fort proche de celui du pape François, sans que Raspail lui en fasse le reproche constatant que “son” pape ne saurait en tenir un autre ! Je songe aussi à l’une des thèse favorites de feu Vladimir Volkof sur la guerre d’Algérie, dont il pensait qu’elle aurait pu être politiquement gagnée si la générosité des Français vis-à-vis des Algériens avait été jusqu’au bout et ne s’était heurtée au racisme latent et à l’égoïsme d’une nation française “de souche” repliée sur elle et refusant obstinément les mêmes droits à des arabes musulmans. La fameuse citation du Général De Gaulle reste emblématique : “Si nous faisons l’intégration, si tous les Arabes et Berbères d’Algérie étaient considérés comme Français, comment les empêcherait-on de venir s’installer en métropole, alors que le niveau de vie y est tellement plus élevé ? Mon village ne s’appellerait plus Colombey-les-Deux-Églises, mais Colombey-les-Deux-Mosquées !”

Immigration et identité

Le problème de la crise identitaire de la civilisation européenne — suicide de l’Europe chez Laurent Dandrieu et tant d’auteurs depuis le fameux livre d’Eric Zemmour — n’est pas d’abord un problème douanier. Il l’est partiellement, et du point de vue politique seulement, mais il est surtout un problème spirituel, anthropologique. Les papes l’abordent sous cet angle. Pour le résoudre, faut-il seulement sortir de Schengen et remettre des frontières ou faut-il aussi et d’abord recréer un lien amoureux avec sa patrie, exalter ses héros, l’esprit de sacrifice, de générosité ? Dans l’anti-immigrationisme actuel, il y a chez quelques-uns une belle angoisse pour le devenir de la patrie, et chez beaucoup l’obscur désir soixante-huitard de jouir sans entrave, en égoïste des biens matériels hérités de nos pères. Ce n’est pas sur ce terrain que renaîtra l’amour de la patrie ou sa défense face au terrorisme islamique. C’est au contraire en le flagellant et en le ramenant à la notion de sacrifice, au cœur de l’amour de la patrie. Au XIXe siècle, les frontières de la Pologne ont totalement disparu, le pays a cessé d’exister légalement comme tel. Depuis 1918, elles ont considérablement évolué, mais la Pologne a continué à vivre dans le cœur des Polonais en exil sur plus de trois générations. C’est à ce niveau intime de l’âme que doit renaître l’amour de la patrie. De ce point de vue, Laurent Dandrieu passe à côté de la vraie crise de la conscience européenne et de la réponse catholique qui lui convient.

La capacité à se confronter à l’autre et à tenter de le comprendre — que j’admire tant chez nos soldats français déployés en opération extérieure et qui constitue la french touch de l’armée française — voilà l’une des racines de notre culture française universaliste, qu’elle tient de sa matrice chrétienne. C’est à cette capacité qu’en appelle l’enseignement de l’Église aujourd’hui. Que les citoyens engagés en politiques, que les journalistes — dont Laurent Dandrieu que l’on ne saurait encore une fois trop remercier de nous agacer — s’interrogent sur les modalités de la mise en œuvre de cette générosité, dans le cadre du respect de l’héritage reçu de nos pères, la patrie, voilà qui est légitime. L’analyse de Laurent Dandrieu pèche, et c’est un paradoxe, par une approche presque exclusivement ecclésiastique de la question, sans offrir une contribution de laïc catholique dans la sphère politique qui n’est pas celle de la hiérarchie ecclésiale.

Légitime, aussi et enfin, cet appel constant désormais depuis cinquante ans de nos Pères dans la Foi que sont les papes, à dépasser nos peurs et à poursuivre l’œuvre d’évangélisation de ses nouvelles populations — sans oublier les anciennes déchristianisées — : Duc in altum (“Avance au large”) ! Ne restons pas au cabotage auprès des côtes, mais allons de l’avant, fermement ancrés dans notre foi et persuadés que celui qui tient en main la barre de Barque de Pierre ne saurait nous engager sur un chemin autre que celui voulu par Dieu dans sa Providence. Ubi Petrus ibi Ecclesia (« Partout où est Pierre, l’Église est présente »).


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