Pendant la campagne présidentielle, Aleteia vous propose une nouvelle série politique, à suivre toutes les semaines.Tout le jour durant, attendant le retour de son époux parti affronter les éléments et les dieux hostiles, Penelope vaquait à sa tapisserie. Richement rémunérée pour ce modeste travail « parfois intangible », elle se félicitait de la discrétion avec laquelle elle savait déployer ses talents de tapissière, allant jusqu’à affirmer au voisinage qu’elle était bien incapable de manier le métier. Pour plus de sécurité, elle s’amusait même à défaire la nuit ce qu’elle avait brodé le jour.
Lorsque François revint à Ithaque-sur-Sarthe, l’humble tâcheronne comprit que les fonctions auxquelles se destinait son vaillant mari allaient irrémédiablement la mettre au centre de l’attention médiatique. On prétendit qu’elle avait été payée à ne rien faire, que sa situation était scandaleuse et que son travail avait été fictif… Las, la malheureuse s’étant fort mal avisée de défaire chaque soir les fils patiemment enchevêtrés le jour, elle se trouva fort dépourvue lorsqu’on lui demanda de fournir des preuves de son utilité. À point nommé, le scandale fit la joie des vautours qui n’attendaient qu’un faux pas pour s’abattre sur François.
Lire le premier épisode : “Benoît et Manuel, un fauteuil pour deux”
Lui, si probe, désormais si suspect ! Dans une classe politique irréprochable comme la nôtre, un tel impair ne peut qu’indigner. Et déjà les prétendants de prendre leur tour dans la file – non pour courtiser Penelope, mais pour revêtir les beaux habits de conquérant de François. Son ancien rival, Alain le Girondin, est un homme mûr que l’expérience a poli comme une vieille pierre. Mais le vice dont on accuse François est précisément celui pour lequel le Bordelais au cheveu rare fut jadis condamné… Nicolas, ancien président de son état, connaît le métier : mais la liste des soupçons qui le poursuivent le précède. Qui d’autre, alors ? Et surtout, comment s’assurer que la prochaine pêche sera fraîche lorsque l’on plonge la main dans un panier de crabes ?
Du temps de Jacques le Magnifique, espèce de mythe fondateur de la droite, on savait s’y prendre. On avait fait loi du bon mot attribué à Charles le Corse, son ministre de l’Intérieur, selon lequel : « Quand on est emmerdé par une affaire, il faut susciter une affaire dans l’affaire, et si nécessaire une autre affaire dans l’affaire de l’affaire, jusqu’à ce que personne n’y comprenne plus rien ». On jonglait habilement avec les ministères et les scandales tout en conservant fièrement la mine coruscante des grands jours. C’était autre chose que ces politiciens sans envergure, à l’allure de sous-préfet penaud, qui ont l’air de demander pardon même quand ils n’ont rien fait.
Les pratiques demeurent, seuls les hommes changent. Il fut un temps où le méfait était oublié s’il était assumé avec panache. Désormais, il n’est toléré que tant que son auteur sait le maintenir caché. Le dogme de la transparence n’a pas éclairci les eaux troubles de l’aquarium : elle a seulement permis de voir plus clair au travers. Et, tandis que chacun se félicite de constater que, comme il le soupçonnait, l’intérieur est vicié, Penelope contemple tristement l’océan et se demande si son mari reprendra un jour le large.