Dilan Adamat témoigne exclusivement pour Aleteia. Noël en Irak, c’est un mélange subtil de joie collective, de célébrations religieuses, de grandes fêtes et d’une inquiétude qui noircit l’avenir incertain de centaines de milliers de personnes. Retour sur dix jours dans le Kurdistan irakien.
Après un transit par la Turquie, je suis arrivé à Erbil, capitale du Kurdistan irakien, dans la nuit du 23 au 24 décembre 2016. Dans ce gouvernorat, les chrétiens vivent principalement à Ankawa, dans la banlieue d’Erbil. Ankawa est à l’origine un de ces nombreux villages chrétiens qui jalonnent le nord de l’Irak, à proximité des grandes villes ou dans des zones plus reculées dans les montagnes. De quelques milliers d’âmes au début de la guerre américaine de 2003, Ankawa a rapidement grossi, en accueillant les déplacés chrétiens par différentes vagues. Après ceux fuyant les violences confessionnelles de Bagdad et du sud de l’Irak dans les années 2000, l’arrivée des chrétiens ayant échappé à l’organisation de l’État islamique en 2014, a probablement marqué le tournant le plus significatif dans l’esprit des populations locales. Aujourd’hui, près de 100 000 chrétiens vivent ici, dont plusieurs dizaines de milliers de déplacés. Une partie seulement a pu trouver un hébergement ailleurs que dans les camps de réfugiés.
La messe de Noël
À mon arrivée, la principale question qui se posait dans la ville était celle de savoir à quelle messe chacun comptait aller. Entre celles du soir, celles de minuit, et les différentes du matin, le choix était vaste. Le lendemain, chacun racontait la sienne, non sans rappeler que tel ou tel prêtre y était présent.
Dans les jours qui suivent, la tradition veut que les familles se rendent visite les unes les autres, afin de se souhaiter un joyeux Noël, une coutume qui perdure d’ailleurs au sein des différentes diasporas en Europe, aux États-Unis ou en Australie. Les proches et amis ont ainsi défilé tout au long des jours suivants pour nous présenter leurs vœux, lorsque nous-mêmes n’étions pas en visite chez d’autres. La chaleur humaine est palpable, une sensation oubliée dans les sociétés individualistes. Le sentiment de solitude est quasiment inexistant ici, même lorsqu’une partie de ses proches a émigré.
Une ambiance festive
Le soir, les gens vont plutôt dans les clubs, sortes de grands restaurants où l’on passe toute la soirée en mangeant les mazzas et en sirotant son arak, ou n’importe quel autre alcool, en famille ou entre amis. Depuis quelques années, une entreprise locale organise également un grand festival entre Noël et le Nouvel an. Une semaine durant, chaque festivalier peut librement y aller, assister à différents concerts, participer à des loteries, boire et manger à sa guise. Une ambiance incroyablement festive, où un parfum de liberté côtoie les vapeurs des sandwicheries, au point qu’il serait difficile d’imaginer que l’organisation de l’État islamique n’est qu’à une heure de route.
Daesh, l’acronyme arabe de l’organisation, est effectivement sur toutes les lèvres. On se moque souvent d’eux, comme pour dédramatiser la guerre, mais personne n’a oublié cette nuit d’août 2014, quand les colonnes terroristes se sont approchées d’Erbil et que tous les habitants d’Ankawa ont fait leurs valises, prêts à tout abandonner pour ne pas subir le sort des chrétiens de Mossoul. Cet épisode a provoqué le départ de quelques milliers d’irakiens toutes confessions et ethnies confondues, las de se sentir menacés par le terrorisme et l’obscurantisme. Autour de chaque thé, chaque café, chaque arak partagé, les discussions mènent inexorablement à la même question : partir ou rester ? Pour la quasi-totalité des chrétiens, rester serait leur choix idéal. Mais tous, à différents degrés, redoutent un avenir où leur présence deviendrait indésirable. De plus d’un million d’habitants en 2003, la population chrétienne a été divisée par quatre ou cinq en une décennie d’émigration.
Plus que la peur, c’est finalement la lassitude qui domine, comme une ombre pesante à un cadre idyllique. La lassitude des guerres, de l’embargo des années 1990, des assassinats et des ingérences étrangères. Un ami résume parfaitement la situation : « On est heureux ici, il n’y a pas d’endroit aussi agréable à vivre dans le monde… Mais on ignore ce qui va surgir demain. »