Il y a dix ans mourrait Henri Grouès, dit l’abbé Pierre, à l’âge de 94 ans. Dans la demeure qu’il a bâtie au cœur de la Picardie, le père André Marie accueille des marginaux, des gens aux parcours de vie brisés. Un ancien SDF à la barbe fleurie nous accueille, personne ne sait trop où se trouve le maître des lieux. On le cherche dans les pièces encombrées : des poteries, des tableaux, des gravures sont entreposées contre chaque coin de mur, sur chaque table… En fin de compte, le prêtre est en cuisine, en train de porter la dernière touche à une œuvre, pinceau en main, tandis qu’à côté de lui l’un de ses pensionnaires, de son côté, achève de couper les oignons qui viendront garnir la soupe, dans une gigantesque marmite. Artisan prolifique, il a rencontré l’abbé Pierre, de plus de dix ans son aîné et partageait son souci d’aller à la rencontre des plus pauvres.
“Il faut pleurer les larmes de l’autre”
L’abbé Pierre n’a pas été exactement son inspiration, puisqu’ils ont commencé à accueillir et à aider les marginaux chacun de leur côté, avec des méthodes différentes, mais leurs œuvres ont convergé et ils se sont rencontrés. Ils discutaient, intimement, partageant les joies et les difficultés que leur apportaient leurs engagements. Ils rencontraient les situations les plus difficiles, les misères les plus noires, et l’aide qu’ils pouvaient apporter se joignait à la nécessité de partager un peu des souffrances de l’autre. “Il faut pleurer les larmes de l’autre”, disait l’abbé Pierre. Le père André Marie le décrit comme un prêtre rempli de joie, mais que le poids de la pauvreté qu’il rencontrait écrasait parfois.
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La célébrité, elle aussi, lui pesait “les gens célèbres sont souvent seuls”, constate-t-il. C’était le cas de l’abbé Pierre. “C’est difficile, quand on devient aussi célèbre, quand tant de monde a besoin de nous, d’avoir des amis à qui se confier”, assure le père André Marie. Pendant notre entretien, le téléphone du prêtre sonne sans cesse. Il répond à chaque fois, sa tête émergeant du fatras qui encombre un beau bureau de bois ouvragé, le bureau de l’abbé Pierre, justement… Qui sait combien d’histoires de chutes et de rédemptions sont passées sur son bois brut, patiné par l’usage ? L’abbé Pierre, comme le père André Marie n’ont pas de vacances : ils sont sans cesse sollicités.
100 000 religieux qui tiennent le monde
Un troisième larron vient dans la conversation, le père Pedro, et l’œuvre immense qu’il accomplit à Madagascar. C’est pour cette œuvre que le père André Marie travaille sans cesse, profitant de ses insomnies pour tourner des poteries, peindre des tableaux dès deux heures du matin… Depuis qu’elles sont cotées à Drouot, les peintures rapportent bien. “Chaque fois que j’ai du mal à me lever, je me dis qu’avec cette peinture, le père Pedro pourra aider x nombre d’enfants…” Il est fier de faire partie de ceux qu’il appelle les “100 000 religieuses et religieux qui empêchent le monde de tout à fait s’écrouler”.
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L’abbé Pierre était du nombre. Il confiait dans une “lettre à Dieu” : “Père, je vous aime plus que tout. Je ne supporte de vivre si longtemps que par cette certitude en moi : mourir est, qu’on le croit ou non, Rencontre. Trop de mes frères humains restent au bord de vous aimer. Pitié pour eux et pitié pour l’Univers. Père, j’attends depuis si longtemps de vivre dans votre totale présence qui est, malgré tout, Amour.”