Le théologien Yves Semen remarque que la conception anthropologique chrétienne est centrale dans la théologie du corps de Jean Paul II. Le Saint-Père insistait en premier lieu sur la solitude originelle. Dans un premier temps, Dieu crée l'homme seul mais remarque rapidement que "Dieu dit : il n’est pas bon que l’homme soit seul (Gn 2, 18)". L'homme fait rapidement la constatation, après avoir nommé les animaux, qu'il n'existe pas de créatures sur Terre capable d'entrer pleinement en relation avec lui : "C’est en ce sens que l’expérience de la solitude originelle est une préparation à la création finale de l’homme comme homme et femme. La création de l’homme n’est achevée que lorsqu’il est établi dans la dualité masculin/féminin. Et cette création apparaît comme une réponse à l’appel au don découvert par l’humain des origines comme constitutif de son identité [1]."
Dans cette première caractéristique de l'humain selon Jean Paul II, on voit immédiatement les oppositions qu'il peut y avoir avec la philosophie transhumaine qui fait l'apologie explicitement ou implicitement de l'autosuffisance de l'individu. Comme le remarque de manière acerbe le théologien Bertrand Vergely : "Nous vivons aujourd'hui dans un monde qui exalte l'affirmation de soi ainsi que la volonté de puissance. On devrait être soi. Tel n'est pas le cas, l'affirmation de soi débouchant sur l'affirmation du moi à travers le développement d'un hyper-individualisme narcissique [2]."
Un danger pour l’équilibre psychique et sociétal
Dans cet ordre d'idée, on peut aussi s'interroger sur la pertinence réelle des positions extrêmes en termes de « genre ». Alors qu'il est impérieux de lutter contre la discrimination des femmes, les préjugés et la violence physique et psychologique exercée à leur endroit, alors qu'on ne peut nier qu'il existe une part de construction sociale dans l'image que l'on se fait de la féminité notamment par rapport aux professions accessibles, on peut s'interroger sur les dégâts occasionnés par la négation volontaire et totale des données biologiques. La dualité et la complémentarité homme/femme peut et doit se vivre en dehors des clichés machistes et des impératifs économiques ou sociétaux mais cette complémentarité féminin/masculin universelle [3] existe bel et bien. Nier une donnée ontologique aussi essentielle est dangereux pour l'équilibre psychique et sociétal.
Après l'expérience de la solitude originelle comblée par l'apparition d'Ève, l'homme fait l'expérience de la nudité originelle. Or cette nudité est positivement vécue par le couple primordial : "Or, ils étaient nus, l’homme et la femme, et ils n’avaient pas de honte l’un devant l’autre (Gn 2, 25)". Ce n'est qu'après la Chute qu'Adam et Ève auront honte de leur nudité, n'oseront plus paraître nus l'un devant l'autre. Autrement dit, avant que le péché n'embrouille tout, Adam peut paraître nu devant Ève et réciproquement, ils n'ont rien à se cacher, ils sont transparents l'un pour l'autre : "Avant le péché, par leur corps capables de communion, l’homme et la femme sont images de la communion des personnes divines – tel est le plan de Dieu aux origines. Autrement dit, ils sont capables d’une pleine appréhension de la finalité sponsale de leur corps et, par conséquent, d’une pleine conscience de la valeur des signes somatiques de leur sexualité : leurs corps, dans et par leur masculinité et leur féminité, sont faits pour leur permettre d’accomplir leur pleine identité qui est d’être image de Dieu [4]."
Là aussi, on ne peut manquer de remarquer que le transhumanisme se situe à l'exact opposé de cette célébration chaste du corps et des sens. Chaste ? C'est-à-dire une sexualité vécue comme partage, comme communion, comme don de soi et donc comme ouverture à la vie.