L’extraordinaire condition physique d’un centenaire comme Robert Marchand est-elle forcément une promesse de jouvence éternelle pour les autres ? Jeudi dernier, le cycliste centenaire Robert Marchand à été reçu par le président François Hollande, après avoir battu un record en parcourant plus de 22 kilomètres à 105 ans. La presse à longuement et richement applaudi cet exploit quasi-surhumain, ne manquant pas de le décrire en recourant aux expressions les plus convenues : « On souhaite tous être aussi en forme à son âge », « Il démontre qu’il n’y a pas d’âge pour faire du sport », « Le corps n’a pas de limites ».
Le courage et l’exploit du personnage ne sont nullement à remettre en question. Ce qu’a accompli Robert Marchand est exceptionnel. Mais quel sens y a-t-il pour autant à prendre un acte exceptionnel pour en faire un exemple généralisable à tous ? L’extraordinaire condition physique d’un centenaire est-elle forcément une promesse de jouvence éternelle pour les autres ? Faut-il voir le dépassement des limites physiques comme un nécessaire progrès ?
De la discipline et de la ténacité d’un homme, la publicité a tôt fait de produire un discours de performance et d’optimisation du corps. D’une exception qui suscite l’émerveillement, le marketing de la santé cherche à faire un nouveau standard. Être en pleine forme à 105 ans n’est pas un accomplissement : c’est une bonne nouvelle, assurément, mais ce ne saurait être un objectif.
Lire le mot de la semaine dernière : “laïcité”
Le corps de l’homme est fragile, il s’use, se fatigue et s’affaiblit à force d’efforts et au gré du temps. C’est cette vérité qui incommode ceux qui voudraient nous persuader qu’à renfort de pilules, de technologie et de produits, nous pourrions maintenir nos capacités à niveau comme une machine régulièrement mise à jour. Celui qui écoute son corps et adapte son mode de vie à ses besoins sera à coup sûr dépassé : tout autour de lui le somme de se dépasser, d’en vouloir davantage et de se prémunir aussi longtemps que possible de la vieillesse.
Les rides sont des imperfections, l’arthrose une dégénérescence et la fatigue un manque de vitalité. Toute douleur est un dysfonctionnement et le moindre changement est une dégradation. Dans l’univers publicitaire, la vieillesse est une maladie qui commande de se procurer les palliatifs adéquats. Aucune des évolutions naturelles du corps n’est acceptable, et le temps lui-même est une simple variable ajustable.
Qu’on le comprenne bien : le discours qui présente les personnes âgées comme des individus inutiles est l’exact pendant de celui qui voudrait en faire des « jeunes de 80 ans ». Dans les deux cas, on retrouve l’obsession de la jeunesse et le refus presque pathologique d’accepter sa condition humaine — et donc périssable. Cette peur de vieillir, minuscule portion de l’angoisse de mourir dont elle n’est qu’une des manifestations, possède quelque chose de touchant et de tout à fait noble. Elle habite chaque être humain des lors qu’il prend conscience du temps qui passe. Ce n’est donc pas elle dont il faut se défier, mais de ceux qui, pour des intérêts trop évidents, voudraient la nourrir pour vendre le remède miracle qui permettrait d’en venir à bout. Mais rien ne soigne la vieillesse, on ne guérit pas d’être humain.