Les interdits foisonnent dans la morale sexuelle, dérangent ou enferment. Mais de quoi parle-t-on ?
Les petits secrets de la vie intime, la libre disposition de son propre corps, l’union charnelle des amoureux, cèdent encore trop souvent la place à l’inhibition, au puritanisme ou, au contraire, à la dépravation et la perversité la plus abominable. La morale sexuelle enseignée par le magistère de l’Église entraîne trop fréquemment les effets contraires au but qu’elle poursuit. Selon la formule de Thierry Boutet, l’amour humain vient “de plus loin et de plus grand que l’homme… Face à ce mystère, inscrit dans notre propre chair, nous ne cessons pas depuis les origines, d’osciller entre le refoulement et la sacralisation hystérique”. L’équilibre entre instinct bêtement humain et perfection divine, dont les interdits sont aussi la voie, est à portée de main. La liberté qui est la notre interroge notre capacité à mûrir et à apprivoiser notre part d’ombre.
Vous connaissez tous l’histoire du Petit Chaperon rouge. Le grand méchant loup, célèbre personnage des frères Grimm, illustre cette part de l’être humain tenté par le danger ou l’inconnu. Selon le psychanalyste Bruno Bettelheim, cette histoire oppose les principes de plaisir et de réalité. Les figures féminines sont incarnées par la grand-mère et la fille, dont la première offre à la seconde son bonnet rouge, symbole du transfert du pouvoir de séduction sexuelle et apanage des émotions violentes. Le loup représente la figure masculine ambiguë : il est séducteur, prédateur et meurtrier. La deuxième figure masculine, dans le personnage du chasseur, est plutôt paternelle. C’est lui qui sauve les deux femmes en ouvrant le ventre du loup, symbole d’une deuxième naissance.
Le chasseur fait ici office de représentant de la loi, en s’opposant au loup il marque l’interdit. D’ailleurs personne ne songerait à lui en vouloir d’être intervenu. Si le Chaperon rouge avait revendiqué la libre utilisation de son corps, ouvrant la porte à n’importe qui sans la moindre appréhension, sans doute serait-il mort, symboliquement. Mais quelle est la vraie morale de cette histoire ? Où se situe le danger ? Dans celui de l’inconnu, dans le désir de manger ou d’être mangé ? Il faut le voir dans l’absence d’amour vrai, de maturité et de conscience. Ce sont pourtant des étapes à franchir pour accéder à une deuxième naissance dit la fable, pour accéder à la vie. Si et seulement si un chasseur vient à passer, ou bien disons, un bon ange gardien. Alors, qui a encore peur du grand méchant loup ?
Les fantasmes échappent par nature à tout curseur de moralité et la question n’est pas de leur en trouver un. Karol Wojtyla, saint Jean-Paul II, dans Amour et responsabilité, revendique la place de l’amour dans la recherche du plaisir pour qu’il soit dans une dynamique constructive et belle. Il n’est pas acceptable de rejeter le plaisir, qui est un don de Dieu et voulu par Lui dont l’homme et la femme peuvent se servir pour devenir de vrais partenaires de vie. Il souligne que la sensualité “confère à l’amour sa saveur” et ne doit pas être systématiquement refoulée, sans pour autant être la seule base d’une relation. Porter son bonnet rouge, c’est aussi se risquer à être dévoré sans être délivré, même si le chasseur viendra toujours, en s’arrêtant à l’état du sentiment amoureux dans une relation, qui ne saurait durer si la volonté, la conscience, la loi, n’entrent pas en jeu pour nous aider à mûrir.
“Goûter le plaisir sexuel sans traiter pour autant la personne comme un objet de jouissance, voilà le fond du problème moral sexuel… Il existe une joie conforme à la nature de la tendance sexuelle, et en même temps à la dignité des personnes ; dans le domaine étendu de l’amour entre l’homme et la femme, elle découle de l’action commune de la compréhension mutuelle et de l’accomplissement harmonieux des buts choisis ensemble. Cette joie peut provenir aussi bien du plaisir multiforme créé par la différence des sexes que de la volupté sexuelle que donnent les rapports conjugaux. Le Créateur a prévu cette joie et l’a liée à l’amour de l’homme et de la femme.”