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Noël est-il halal ?

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Jean Muller - publié le 15/12/16
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L’association Agora rassemblait hier des personnalités diverses et variées pour débattre de Noël.

L’association Agora rassemblait hier des personnalités diverses et variées pour débattre de Noël.

L’association Agora a organisé hier soir, mardi 13 décembre, une série de tables rondes autour du thème de Noël. Pour éviter de ressasser inlassablement les mêmes poncifs, comme l’aspect commercial de Noël, l’association avait décidé de rassembler des personnalités très variées autour de la table parmi lesquelles l’abbé de Tanouarn, Monseigneur Rey, l’imam de Bordeaux, Tareq Oubrou, ou le pasteur Said Oujibou. On nous promettait des débats vifs et enflammés, nous n’avons pas été déçus. Le tout dans une atmosphère de bienveillance et de respect mutuel.

La première table ronde rassemblait Gaultier Bès de la revue Limite, François Huguenin de la Procure et le pasteur Oujibou sur le thème du sens de Noël aujourd’hui en 2016. Premier à répondre, le pasteur, qui est un musulman converti, met immédiatement les pieds dans le plat. « Quand j’étais gamin, Noël, c’était la fête des français, des occidentaux, des voisins, mais ça n’avait aucun sens pour moi ». Une impression qui peut être celle de beaucoup de français non chrétiens encore aujourd’hui. En bon défenseur de l’écologie intégrale, Gaultier Bès martelait que « Noël est avant tout une fête de la décroissance. À Noël, Dieu se fait faible et partage la condition terreuse de l’homme. Voilà ce que nous fêtons, et cela devrait nous rendre un peu stupéfaits. On ne peut pas donner un contre-témoignage et célébrer à la fois la décroissance divine, l’abaissement de Dieu dans la pauvreté, et par nos actes collaborer à la surabondance, l’excès et la surconsommation. Pour ré-enchanter Noël, il faut en redécouvrir la sobriété ! ». Décroissant cohérent, Gaultier Bès a ensuite gratifié la salle d’une envolée lyrique sur les appareils électroniques, cette « saloperie ».

François Huguenin, lui, identifie l’attente qui existe autour de Noël, comme une forme d’espérance. « Il y a quelque chose de désespéré, tous les ans on veut croire qu’il va se passer quelque chose de beau au moment de Noël. À chaque fois, ça ne loupe pas. Mais il y a une attente. La consommation parasite tout ça, et peut-être est-ce parce que nous avons une manière infantilisante de vivre la fête de Noël. C’est violent ce qui se passe, c’est la venue du Verbe de Dieu dans le monde, pas seulement la naissance d’un petit bébé qui gazouille dans une mangeoire. Peut-être que si on est débordé par la consommation, c’est parce qu’on a déjà dans notre pratique une vision de Noël un peu tarte ».

C’est le pasteur Said Oujibou qui a ébranlé la salle et déclenché la première salve d’applaudissements. Évoquant son enfance et sa conversion, il raconte son premier Noël, qu’il a « passé tout seul. Les français n’avaient pas la sensibilité d’inviter les musulmans convertis chez eux. Les musulmans qui deviennent chrétiens attendent d’être invités. Les chrétiens n’ont pas de sensibilité pour accueillir alors que la famille dépasse les liens de sang, c’est une famille d’abord spirituelle ! Les seules personnes qui osaient venir dans mon quartier à Noël, c’était des sœurs catholiques. C’est le plus beau cadeau de Noël que j’ai reçu, lorsque ces sœurs sont venues et ont posé un regard positif sur moi. C’est la première fois que je me suis vu en France aimé et considéré. Ces sœurs avaient le sourire, et cela m’a dérangé, c’était la première étape de ma conversion ».

De la consommation à la théologie

L’abbé Guillaume de Tanouarn et l’imam Tarek Oubrou prenaient la suite des trois premiers intervenants sur un thème plus théologique, « Noël est-il halal ? » La discussion profonde qui a eu lieu a eu le mérite de mettre le doigt sur ce qui sépare les musulmans des chrétiens, notamment en ce qui concerne l’amour de Dieu. L’abbé de Tanouarn soulignait notamment la volonté divine de s’unir à l’homme, volonté qui semble absente dans le Coran. Tarek Oubrou évoquait le cas, assez rare en Islam, de quelques mystiques pouvant s’unir à Dieu, manière de montrer que ce qui sauve en Islam n’est pas la charia mais la foi. Plein d’enthousiasme, l’abbé de Tanouarn répliquait qu’il faudrait alors proposer aux musulmans une révolution paulinienne, c’est-à-dire se demander si l’islam a besoin d’imposer sa loi ou si l’islam peut être uniquement un moyen d’aller à Dieu ? « C’est la grande question, parce qu’au niveau de la foi, on peut très bien discuter et aller loin dans l’amour de Dieu ensemble ». Une piste de réflexion intéressante, mais ô combien délicate, quand la charia est la voie du salut la plus communément empruntée.

Noël vs la laïcité

Un représentant de la libre pensée ayant fait faux bon à l’association au dernier moment, Monseigneur Rey s’est trouvé en compagnie du père Gitton et de Jean Birnbaum, journaliste au Monde, pour traiter du rapport de Noël à la laïcité. L’absence du libre-penseur n’a pas permis de véritable débat entre les trois intervenants qui défendaient tous des points de vue relativement comparables. Toutefois, l’auditoire a pu savourer les paroles profondes de Monseigeur Rey qui expliquait que « la foi passe par un émerveillement. C’est cette part d’émerveillement devant l’innocence, la fraîcheur de la vie qui est le point de départ d’une expérience spirituelle. Nous avons besoin de retrouver l’enfant que nous étions. La crèche procède de cette dimension contemplative. Nous sommes des raisonneurs, il faut nous extasier ». Il cite Bernanos, que Jean Birnbaum commente ensuite abondamment, déplorant que la tradition de Noël comme « solidarité d’un esprit d’enfance et d’insoumission » soit menacée. Le père Gitton évoquait lui sa rencontre avec la foi, aux alentours de Nöel. Il raconte que dans la pharmacie en face de chez lui, il y a depuis deux ans un petit bouddha en vitrine au moment de Noël. « Nous avons besoin de surnaturel, si ce n’est pas le surnaturel chrétien, c’en sera un autre… ».

Monseigneur Rey, à qui l’on ne pouvait épargner le sujet des crèches, rappelle pour terminer qu’il serait « inconséquent de faire abstraction de ses racines, sinon on débaptise les noms des places et des rues. Je suis allé bénir des crèches dans les mairies. Derrière tout ça, il y a une question plus profonde sur la manière dont la laïcité donne un espace d’expression à la religion à condition que ce ne soit pas un prosélytisme ni une volonté d’accaparement ».

Les efforts de l’association Agora pour confronter des points de vue sensiblement différents sont louables et ont permis à des débats constructifs d’émerger. Une initiative salutaire qui donne une perspective nouvelle à Noël.

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