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L’importance d’être chrétien dans le monde des affaires

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François Brunhes - publié le 10/12/16
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Entretien avec Jacques Fleury, entrepreneur chrétien expatrié en Géorgie. Jacques Fleury est un entrepreneur français expatrié depuis près d’une quarantaine d’année. Après des études d’ingénieur en France puis à Londres, il a commencé sa carrière en montant des affaires en Iran avant la révolution islamique de 1979. Obligé de quitter l’Iran, Jacques Fleury rentre en France et recommence tout à zéro avec trois enfants en bas âges. Il poursuit ses entreprises en France, en Grèce et en Italie.

En 1996, un groupe d’actionnaires lui demande de relever la société nationale « Borjomi », une eau minérale très prisée et distribuée dans une trentaine de pays.

En Géorgie, il s’est consacré à la remise sur pied de l’industrie du vin (vieille de plusieurs milliers d’années), notamment en fondant un chai maintenant célèbre : le Château Mukhrani.

Aleteia : Vous êtes un entrepreneur français en Géorgie depuis 1996, en deux mots votre pays d’accueil, c’est quoi ?
Jacques Fleury : Pour parler de la Géorgie il faut revenir à l’histoire. C’est un pays de passage, envahi un nombre incroyable de fois par différents peuples. Si l’on remonte pas si loin, il y a eu le protectorat romain, les conquêtes mongoles, Tamerlan (dit Timour le Grand), les Perses et les Russes.

Et donc, cela a modelé l’esprit géorgien. En quelque sorte les Georgiens ont appris à recevoir des étrangers. Quelqu’un qui s’installe ici est bien accueilli, et au bout d’un certain temps au lieu de trouver une expression de lassitude (cela dépend un peu des résultats) et bien… les gens deviennent Géorgiens, ils sont complètement intégrés, au sens social du terme, pas au niveau des papiers.

Il y aussi une autre dimension, dans la place du monde, dans l’affrontement violent que nous connaissons avec l’islam, la Géorgie est le premier pays chrétien lorsque l’on vient du Moyen-Orient. Avec l’Arménie, nous sommes vraiment dans une autre civilisation, à la pointe de la chrétienté d’Orient. Nous sommes ici à la frontière entre deux mondes et contrairement à la Syrie et à l’Irak, où les communautés chrétiennes sont menacées, ici en Géorgie, pays proche de ces zones d’atroces conflits, la chrétienté est dominante.

En quoi, la vocation d’entrepreneur sert-elle l’humanité aujourd’hui ?
Je vais vous raconter une histoire. Il y a huit jours j’ai emmené l’un des mes amis entrepreneur géorgien se faire soigner en France. Il a une centaine de personnes qui travaille pour lui. On n’arrêtait pas de l’appeler sur son téléphone. Je lui demande : « Mais que veulent-ils tous ? Pourquoi te dérangent-ils sans cesse ? ». Il me répond : « Ils sont inquiets, ils ont peur que tout s’arrête si je viens à disparaître ». En effet, il fait vivre une centaine de famille.

Par exemple, en 1996, lorsque je suis arrivé pour redresser l’industrie des eaux de Borjomi, le lieu était un village très pauvre au milieu de la guerre civile [1]. À cette époque on ne pouvait pas passer d’accord avec les ouvriers, car pour le quart de nuit, nous n’avions personne, la nuit était dangereuse. Le climat était un climat de fin de guerre civile, mafieux et les gens étaient très pauvres. Alors, d’avoir apporté de la richesse économique, c’est la paix que l’on apportait dans ce contexte. Le fait d’avoir développé une industrie a notamment permis de générer 4 000 à 5 000 emplois dans la région pour autant de familles qui économiquement vivent à présent. Maintenant, Borjomi est une ville. Par là donc, l’entrepreneur crée un environnement pour les gens, qu’ils n’auraient pas par ailleurs. L’entrepreneur crée cette activité, cette richesse, quelque part c’est formidable, non ?

Regardez, dans mon centre commercial à Tbilissi, un homme me dit bonjour tous les matins, je ne le connais pas. Mais qui est-il demandais-je à mon équipe ? « C’est un squateur ! Un homme qui passe ses journées dans la galerie marchande, voulez-vous que nous le mettions dehors ? ». Bien entendu que je ne voulais pas le mettre dehors. Plus tard, on apprend que l’homme a créé son propre emploi en remplaçant les boutiquiers pour leurs pauses ou pour des absences plus longues. De voir cela est pour moi valorisant. Voilà ma motivation première, la motivation de créer… Le plus grand plaisir c’est certainement de construire une vie pour les autres tout en contribuant à ce que je crois être un progrès économique et social. L’argent, on ne nie qu’il faut en gagner, ne serait-ce que pour financer de nouveaux projets, mais pour entreprendre ce n’est pas la motivation première.

Enfin, vous noterez qu’en Occident, c’est la succession des entrepreneurs qui fait que nous avons une économie, une histoire économique de premier plan. Être entrepreneur est un rôle fondamental dans la société, c’est la base de tout. Sans essence on ne fait pas fonctionner une voiture, sans entrepreneur on ne fait pas fonctionner une société.

De manière plus générale, est-ce que la foi chrétienne vous a guidé dans vos entreprises ?
Non ! La foi chrétienne est dans mes fibres. Elle me vient de ma communauté, des mes parents.

J’ai connu dans la vie 4 ou 5 personnes qui ont été mes maîtres (toutes « disciplines » confondues). Monseigneur Picandet [2] qui m’enseigna la philosophie au lycée fut l’un d’eux. Cet homme m’a beaucoup marqué, il m’a permis de faire de grandes avancées dans ma vie spirituelle et humaine. Vous savez, un maître vous confirme dans vos capacités, il les fait éclore en vous, il vous ouvre à la foi, la charité, l’amour de l’humanité… Cette foi chrétienne m’a donné l’intuition que lorsque l’on veut réussir il faut créer et c’est la foi qui me l’a confirmée.

Plus largement, elle influence mon ouverture d’esprit, bien entendu mon comportement avec mes collaborateurs et avec autrui.

Est-ce que cela a du sens d’être chrétien dans le monde des affaires aujourd’hui ?
Ah oui ! Parce que cela aurait beaucoup de sens à ce que nos valeurs chrétiennes se diffusent dans le monde des affaires… Le respect des autres, la charité, le soucis de justice, l’espérance… il n’y a pas grand chose à laisser de côté dans tout cela !

Vous n’avez pas oublié votre pays, puisque vous êtes mécène en France. Vous avez racheté la porterie de l’ancien prieuré de Souvigny (une fondation de Cluny), un haut lieu spirituel du XIe siècle en Europe. Cette porterie est ouverte au public. Vous avez maintenant le projet de faire construire un musée biblique dans cette même enceinte, pourquoi ?
Tout d’abord, je viens d’une vieille famille de Souvigny, nous avons avec cette petite ville de l’Allier un long passé. Il se trouve que Souvigny a rayonné du X au XIIe siècle grâce au prieuré, une fondation de Cluny comme vous l’avez mentionné. À cette époque, le prieuré de Souvigny est devenu un carrefour spirituel européen. Le roi des Francs Hugues Capet est venu en 994 inaugurer l’église du prieuré invité par saint Odilon et saint Mayeul (enterrés à Souvigny). Le pape Urbain II est aussi venu en 1097. L’Église est sur pied, c’est une des plus belles églises de style roman-clunisien.

Mais à Souvigny, nous avons surtout hérité d’une bible en latin du XIIe siècle dont le manuscrit original  est aujourd’hui conservé dans les  archives de notre Communauté Urbaine de Moulins. Cette bible fut très utilisée et évoquée jusqu’au XIVe siècle, avant qu’elle ne tombe dans l’oubli.

Cette bible manuscrite renferme des trésors de calligraphie, d’illustrations, d’enluminures faites par des moines et des artistes de l’époque. Elle est manifestement dans son style d’influence byzantine Mais elle est devenue aujourd’hui pratiquement inaccessible au public par souci de conservation. L’idée est de permettre l’accès au public à ce chef d’œuvre de l’art médiéval grâce aux ressources modernes de reproduction, numérisation et toutes les techniques les plus modernes de l’audiovisuel. La qualité des peintures et de la miniaturisation des dessins est telle qu’un agrandissement de quinze fois permet encore une qualité d’image remarquable.

Cet investissement permettra peut-être de créer des manifestations, des expositions mais aussi, des échanges temporaires avec les chefs d’œuvre de l’église de Géorgie, dont on voit les mêmes sources d’inspiration byzantines.

[1] La guerre civile géorgienne de 1991 à 1993, la Géorgie connut un autre conflit avec la Russie en 2008.

[2] Monseigneur René Picandet, (1931 – 1997) fut évêque d’Orléans de 1981 jusqu’à sa mort. Ordonné prêtre pour le diocèse de Moulins en 1961, il fut professeur de philosophie au séminaire puis dans des institutions scolaires à Moulins. Il avait une formation en mathématiques et un doctorat en théologie.

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