“Au fond, est-ce un crime d’aimer l’argent ? Est-ce un crime de vouloir protéger ce que l’on aime ?”“L’ancien ministre de l’Économie et des Finances vient d’être condamné à trois ans de prison ferme pour “fraude fiscale” et ”blanchiment de fraude fiscale”. La décision du juge a sans doute été prise en toute connaissance de cause, et il ne s’agit pas de remettre en question les raisons qui ont pu motiver cette condamnation. Néanmoins, ne pourrait-on pas s’étonner de cette sanction qui, à bien des égards, apparaît comme excessive ?
Il est évident que l’occasion était trop belle pour que la cour s’abstînt de frapper un grand coup : elle tenait là une personnalité politique de premier plan, ayant défrayé la chronique – il lui fallait une victime sacrificielle à donner en exemple. Jérôme Cahuzac servira à blanchir les autres. Et c’est précisément là que se niche l’injustice la plus profonde. Car, au fond, est-ce un crime d’aimer l’argent ? Est-ce un crime de vouloir protéger ce que l’on aime ? Que celui qui n’a jamais empoché sans rien dire la pièce de deux euros que la boulangère, par une étourderie, lui a donné en trop au moment de rendre la monnaie ose jeter la première pierre à Jérôme Cahuzac ! Que celui qui n’a jamais maintenu légèrement surélevé le sac plastique contenant les haricots verts au moment de les peser au supermarché pour tromper la machine et en diminuer le prix oser blâmer Jérôme Cahuzac !
Dix centimes, cent euros, quinze millions – quelle différence ? Le principe est le même. Dans le cas de l’ancien ministre, l’opportunité était plus alléchante, la tentation plus pressante… Mais est-ce sa faute si ses fonctions publiques, par ailleurs assumées dans le plus pur abandon de soi et dans un dévouement quasi-religieux à la cause commune, l’ont exposé à de plus grandes promesses ? Ah, qu’il est facile de résister à l’envie de dissimuler plusieurs millions d’euros dans un établissement bancaire singapourien lorsque l’on ne dispose que d’un compte courant à la Poste ! Les ascètes sont de bons moralistes – il leur est facile de s’absoudre du péché, car la frugalité de leur condition les tient confortablement à l’abri des sirènes du gain.
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Jérôme Cahuzac était haut placé : sa chute n’en pouvait être que plus haute ! Quoi ? Devrait-il être condamné plus sévèrement qu’un mendiant volant une pomme, pour la simple et abusive raison que le montant du forfait est plus élevé dans son cas ? Ne serait-ce pas céder à une basse et vulgaire considération purement pécuniaire de la justice ? Ne serait-ce pas accorder trop d’importance à l’argent, et en faire la mesure de la gravité des actes jugés ? Ne serait-ce pas finalement se rendre coupable du même délit dont nous accusons monsieur Cahuzac ?
On pourra facilement se convaincre de la nécessité de pardonner et d’acquitter le ministre en considérant le nombre d’occasions en lesquelles il aurait pu succomber mais où il s’est précisément abstenu. À trop envisager les actes fautifs, on perd assurément de vue la droiture à l’œuvre tout le reste du temps. Entre deux forfaits, n’était-il pas innocent ? Le criminel, en-dehors de son acte, n’est-il pas un enfant du bon Dieu ? Jérôme Cahuzac à plus forte raison sans doute, puisqu’il n’était pas n’importe qui – il a été un ministre de la France, une figure respectable et respectée. Le condamner, c’est faire offense à sa qualité d’homme de bien, et cela, même la justice n’a pas le droit de se le permettre.”
Voilà les mots que son avocat n’aura sans doute pas prononcés mais que Jérôme Cahuzac et l’écrasante majorité de ses pairs tiennent pour le plus évident bon sens. Qui ne le comprend pas ne peut que s’étonner de voir les élus d’hier inlassablement devenir les malfrats de demain. Le pouvoir corrompt, certes, mais c’est la pensée qu’il corrompt la première.