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Récit. Sur les traces des chrétiens martyrs du Moyen-Orient

Beyrouth © Alexandre Meyer

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Alexandre Meyer - publié le 06/12/16
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De Beyrouth à Qaraqosh en passant par Damas, Homs, Bagdad… Aleteia vous emmène à la rencontre des chrétiens persécutés du Moyen-Orient. Cet itinéraire vous conduira de Beyrouth à Damas, de Damas à Mhardeh, petit village chrétien noyé sous les obus d’Al-Nosra. À Homs aussi, où la guerre civile syrienne a débuté et à Palmyre, la perle du désert syrien. En Irak, de Bagdad à Erbil où les camps de réfugiés les abritent toujours. À Qaraqosh la ville fantôme, Al-Qosh la miraculée et même jusqu’à Mangesh, aux confins du Kurdistan. Aleteia vous donne rendez-vous tout au long de l’Avent, pour découvrir le récit exceptionnel de cette aventure sur les traces des chrétiens martyrs plongés dans une guerre qui n’en finit plus.

 

Beyrouth, l’indomptable

Comme chaque lundi, à 9 heures précises, un Boeing 777-300 s’arrache du tarmac de l’aéroport Charles de Gaulle et met le cap sur la rive orientale de la Méditerranée. Le vol ME206 de la Middle East Airlines, qui s’élève rapidement dans le ciel gris et pâle, relie Paris à Beyrouth en 4h10. Trois Français terminent leur nuit dans le gros porteur à moitié vide. Camille, Yann et Alexandre entament un itinéraire de 9 850 kilomètres qui les conduira vers les plus beaux vestiges de l’histoire antique, à la rencontre de communautés entières menacées d’éradication, marchant aux côtés d’hommes et de femmes luttant pour leur survie.

Le soleil qui baigne Beyrouth est éblouissant. Un détour rapide par l’antenne locale de l’association humanitaire SOS Chrétiens d’Orient qui s’est chargée de gérer la logistique du périple nous laisse profiter un moment du panorama. L’appartement situé dans le quartier de Geitaoui, à l’est de la ville, est niché dans les hauteurs d’un immeuble des années 1950 à l’élégance désuète, agrafé de marbre gris ébréché.

Beyrouth © SOS Chrétiens d'Orient

Beyrouth © SOS Chrétiens d’Orient
Beyrouth © SOS Chrétiens d’Orient

Sa terrasse domine la ville teintée de gris et d’ocre, chaotique, bruyante, pavoisée de portraits du général Aoun, élu président quelques jours plus tôt (après deux ans et demi de vacance du pouvoir). Les toiles rayées de bleu, de rouge, de noir et de vieil or, sales et en lambeaux qui occultent les logias, claquent au vent. La mer mord à pleines dents cette ville côtière qui grimpe sur les collines environnantes dans une course folle à l’urbanisation.

Il faut nous extraire des encombrements de la capitale libanaise. Quitter ces hommes qui devisent un café à la main sur des chaises en plastique à même le trottoir. Quitter ces femmes au port altier qui claquent la portière d’un luxueux 4×4, le portable vissé à l’oreille, aux bracelets d’or aussi lourd que le fard qui assombrit leurs paupières.

“Marhaba, Ahla’ wa Sahlan !” (“Bonjour et bienvenue”, formule de politesse que nous entendrons des centaines de fois au cours du séjour). Muhammad sourit de toutes ses dents au volant de sa Kia défoncée en virevoltant entre les camions, les jeeps, les bétaillères. Le trentenaire syrien à la barbe naissante, aux yeux clairs et profil grec, pousse le volume des hauts parleurs à fond en faisant grimper le moteur dans les tours. La route qui nous sépare de Damas débute à peine mais nous voilà déjà plongés dans l’ambiance, le timbre mélancolique de la diva Fayrouz emplissant l’habitacle.

Le no man’s land

Nous entamons l’ascension du Mont Liban, un café brûlant à la main, tout droit sorti d’un percolateur hissé dans le coffre d’une camionnette au bord de la route. Nous mangeons des galettes de pain brioché sucré aux raisins secs confits, recouvertes de graines de sésame. En quelques minutes, la plaine de la Bekaa qui s’étend à main gauche jusqu’à Baalbek, se perd dans la nuit qui envahit la vallée.

Il est 17h30 quand nous traversons Chtaura en trombe, une ville prospère où les armureries fleurissent, exhibant en vitrine leurs fusils de chasse et leurs treillis camouflés. Nous gravissons l’Anti-Liban, la deuxième chaîne de montagne du pays, dont la ligne de crête marque la frontière avec la Syrie voisine.

Au poste frontière libanais, les formalités sont vites expédiées. La longue litanie des checkpoints va commencer dans le no man’s land noyé dans l’obscurité, qui sépare les deux pays. Un long et large ruban d’asphalte serpente entre les parois de la montagne morne, sèche, aveugle et muette, éclairée d’une pâleur de mort par le pinceau des phares de notre voiture lancée à pleine vitesse.

Bienvenue en Syrie

Au poste frontière syrien, les préposés sont de bonne humeur. Les visages mats s’éclairent en nous voyant. Au dessus d’une cravate à l’élastique un peu lâche, du col froissé des uniformes de drap bleu grossier, d’une barbe finement taillée ou de joues glabres, les yeux fatigués noirs, verts et or, brillent d’un éclair de malice. 83 dollars par personne s’en vont dormir dans un vieux coffre fort sous le regard approbateur du président Bachar el-Assad (dont pas moins de huit portraits ornent les murs du hall). Quelques coups de tampon plus tard, nous quittons la bâtisse et franchissons sans encombre les contrôles.

Tous les 500 mètres la procédure se répète : contrôle des passeports, du coffre, des valises, du capot, de la boîte à gant, des portières et un petit bakchich glissé au creux de la main pour améliorer l’ordinaire des conscrits. Un quasi protocole : ils rendent même la monnaie ! Mais soudain, ça coince. Un militaire en tenue s’engouffre dans une auto banalisée tous feux éteints et nous intime l’ordre de le suivre. En bordure de la route, nous coupons le contact devant une maison vivement éclairée. Il ne faut rien laisser dans l’habitacle et, le sac sur l’épaule, le carnet à la main, lui emboîter le pas jusqu’au bureau du chef.

L’attente

De haute taille, la barbe bien taillée, en sandales et survêtement, le patron de la douane nous invite d’un geste de la main à nous asseoir sur une banquette tendue de velours vert défraîchi. Un poêle à mazout ronfle au beau milieu de la pièce. Son réservoir suspendu sur le côté égoutte son liquide malodorant en glougloutant. Le cylindre de métal sombre (made in France) suçote goulument le carburant en jetant une lueur chaude par le hublot de contrôle. Le tuyau de cheminée s’élève droit vers le plafond puis forme un coude et court jusqu’au mur de la pièce pour gagner l’extérieur.

Trois lits de fers sont disposés le long des murs, encombrés de couvertures criardes. Les murs sont luisants de nicotine. Le chef pousse une planche vissée sur un tabouret en plastique devant nous, jette un ordre à l’un de ses hommes et s’assoit derrière un bureau en tôle et formica d’un air satisfait. Ses traits sont durs et sombres. Au dessus du nez aquilin son large front tranquille sous une coupe en brosse, traduit une résolution teintée de lassitude. Il nous regarde tour à tour de ses yeux noirs et perçants, les traits impassibles, tirant sur une longue et fine cigarette au filtre blanc qui paraît minuscule entre ses doigts épais.

Assis côte à côte, les sens embrouillés par la fatigue du voyage, par la nuit tombée si tôt (il n’est que 18h30) et l’atmosphère surchauffée de la pièce, saturée de l’entêtante odeur de gasoil brulé, la nervosité se lit sur nos visages. Je me penche vers Yann, le photographe de la bande et je lui glisse : “Tu ne trouves pas qu’il ressemble à Eric Cantona ?” Camille qui pilote notre équipée, étouffe un rire dans son écharpe et me flanque un coup de coude dans les côtes. Yann traduit aussitôt avec tout le flegme nécessaire et de son meilleur accent british. Le chef, circonspect, ne sait pas trop comment le prendre. J’ajoute un peu bravache : “Il jouait à Manchester United, il avait sale caractère”. Le Syrien se tourne fièrement vers l’un de ses sbires et part d’un rire contagieux, verse le café, le thé, m’offre ses cigarettes, “des Françaises” assure-t-il. À bien y regarder, elles viennent d’Uruguay. 

Et ce n’est que le début…

La conversation se poursuit autour du café, corsé et puissant. Contient-il des épices ? de la cardamome ? “Pas que je sache” répond-il en me tendant le paquet de Moka. Le temps s’écoule encore, lentement cigarette après cigarette, filant goutte à goutte comme le mazout du poêle que le chef rechausse en versant une belle lampée de liquide jaune sale dans le réservoir. Nous sommes assis sans rien faire depuis plus d’une heure déjà, quand le Syrien se lève, tape mollement du plat de la main sur son sous-main encombré de paperasse et nous congédie. Nous nous levons d’un bond et déguerpissons sans demander notre reste.

D’une rapide manœuvre, la voiture s’apprête à bondir vers le dernier barrage quand le militaire en tenue surgit hors de la maison et court vers le véhicule. À bord, la tension est palpable. Il frappe au carreau et nous tend trois carnets de carton brun : dans la précipitation nous avions oublié les passeports !

Les checkpoints s’égrènent encore : dix, douze, vingt peut-être, avant que l’auto puisse dévaler la montagne à vive allure dans la nuit noire. Muhammad le chauffeur conduit d’un œil, l’autre rivé à son portable qui clignote sans arrêt. La voiture fait des embardées à chaque virage. En peu de temps, nous pouvons lire “Dimashq” sur les plaques minéralogiques noires des vieilles guimbardes que nous doublons en trombe. Nous y sommes, Damas est là. Ses artères immenses s’étalent devant nous, éclairées et animées. Il nous a fallu quatre heures pour parcourir 115 kilomètres. Tout ne fait que commencer.


Lisez la suite de nos aventures à Damas en cliquant ici.

3e épisode, découvrez le calvaire de la ville de Homs et de ses habitants.

4e épisode, le village martyr de Mharedh, pris au piège d’Al-Nosra.

5e épisode, Palmyre tombe pour la deuxième fois.

6e épisode, Daesh inflige un double déshonneur aux chrétiens.


 

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