Rencontre avec le créateur d’un accueil « Donativo », happé par un tourbillon judiciaire pour avoir accueilli bénévolement des pèlerins de passage.
Aleteia : Jean-Marc Lucien, lorsqu’en 2003 vous lancez le projet d’un accueil pèlerin sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle, à quelle inspiration répondez-vous ?
Jean-Marc Lucien : Après mon pèlerinage à Compostelle en 1998, ma vie a été bouleversée. Tout d’abord par ma rencontre sur ce chemin avec celle qui est devenue mon épouse, puis par cet appel ressenti conjointement à nous mettre au service des pèlerins pour témoigner de notre foi chrétienne, lui donner pleinement son sens.
Que retenez-vous de ces dix années au service des jacquets [les pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle, NDLR] ? Quelles furent vos plus belles rencontres ?
Tout d’abord un immense élan d’humanité à travers les rencontres avec ces femmes et ces hommes de toutes races, de toutes religions (ou sans…) mais qui avançaient sur leurs chemins de vie, en quête de sens ou d’espérance. 15 000 pèlerins reçus dans notre maison de manière bénévole, cela laisse des milliers de souvenirs impérissables. Imaginez des hôtes de tous les pays du monde, toutes les langues mélangées, du routard mendiant son chemin (d’une manière volontaire ou non) au chef d’entreprise, du bouddhiste à l’évêque, de l’être humain en quête de sens après un deuil trop lourd à l’étudiant qui cherche sa voie… Alors comment évoquer une plus belle rencontre que celle de Dieu à travers tous ces visages inconnus le soir et amis le lendemain matin ?
En 2014, c’est le coup de tonnerre et la machine procédurale et judiciaire qui s’abat sur vous. Pouvez-vous nous en brosser très brièvement les étapes ?
Depuis le début de l’accueil (en règle avec la loi) nous avons été en butte aux attaques de l’activité commerçante autour du « Compostelle ». En 2014 un homme politique influent est arrivé à monter une cabale contre nous avec instrumentalisation de la Justice, faux témoignages (avérés) et pressions de toutes sortes espérant que nous ne nous défendrions pas. Nous l’avons fait pourtant et nous avons gagné le procès, mais, épuisés, nous avons vendu la maison …
Désormais relaxé par le Tribunal de Grande Instance, vous avez cependant témoigné de la « violence » des procédures, de l’abandon dont votre famille a été victime du fait de l’enquête en cours. Quel regard portez-vous sur ces deux années de souffrance ?
Ce fut une « drôle » d’épreuve ! Un peu comme si, après dix années de bonheur immense et inoubliable, Celui qui nous avait placé là sur le chemin, pour le servir, voulait nous dire quelque chose comme : « Vous êtes attendus maintenant ailleurs » ou « reposez-vous maintenant »… Un mélange de peine inexprimable et d’envie de tourner la page… Avec aussi le goût amer de nous être sentis abandonnés de beaucoup, dans notre peine.
Votre expérience pourrait dissuader grandement les accueils pèlerins « Donativo », mais inquiéter également les nombreuses communautés religieuses qui accueillent les retraitants « gracieusement ». Y a-t-il tout de même de l’espoir pour l’accueil chrétien ?
Je suis très partagé quand je vois qu’aujourd’hui deux autres accueils chrétiens ont fermé par peur et sous la pression des mêmes attaques, qu’un autre au Soulié entre Estaing et Conques est en grande peine pour les mêmes raisons. Je ne vois pas aujourd’hui, dans le flot anti-chrétien que nous subissons, qui de l’Église, des communautés ou de personnalités fortes aura le courage de se dresser pour rappeler qu’évangéliser c’est accueillir son frère comme le visage du Christ, quel que soit son statut, que le Christ n’est pas un client et que la foi comme la lumière n’est pas faite pour être mise sous le boisseau !
Propos recueillis par Thomas Renaud