Nous sommes très douées pour repousser un rendez-vous médical ou une séance chez le coiffeur afin de privilégier nos êtres chers. Mais c’est au détriment de notre famille. Car on ne peut donner que ce que l’on a, n’est-ce pas ?Un matin, j’ai compris quelque chose en buvant mon café. En fait, c’est une douleur me lançant dans le haut de la mâchoire alors que je discutais avec mon mari qui a déclenché cette révélation.
J’ai grimacé de douleur, posé ma tasse et porté la main à mon visage.
« Qu’est-ce qui ne va pas ? », m’a-t-il alors demandé.
« Rien, c’est juste un peu sensible », ai-je répondu en balayant la douleur d’un revers de main comme je l’ai toujours fait. Je me suis juste dit qu’il fallait que je penche la tête de l’autre côté à l’avenir.
« Tu as l’air ridicule », m’a alors lancé mon mari, réprimant un fou rire. « Ça fait combien de temps que tu fais ça ? Prends rendez-vous chez le dentiste. »
J’ai réfléchi pendant quelques instants. Depuis combien de temps ressentais-je cette douleur intermittente (et de plus en plus présente ces derniers temps) ? Trois mois ? Six mois ? Je ne pouvais même pas le dire. Mais peu importe, puisque ma réponse fut immédiate :
« Ce n’est pas bien grave. »
Pourquoi nous nous faisons toujours passer en dernier
En fait, le vrai sens de cette phrase était : « Je n’ai pas le temps. »
Notre agenda familial était déjà plein comme un œuf : boulot, conduites à la maternelle, jeux chez des copains, dîner de famille, obligations paroissiales, siestes, courses, fêtes d’anniversaire, activités caritatives, rendez-vous médicaux pour les enfants…
Rendez-vous médicaux pour les enfants. Je les ai programmés des mois à l’avance, et ai dégagé de la place dans l’emploi du temps pour ce que je considère comme le plus important : la santé de ma famille. Mais j’ai mis de côté la mienne car je trouvais que cela contrecarrait les activités familiales.
Avant d’accepter avec gratitude ce don de la maternité, je n’avais pas à me préoccuper de ma place dans l’agenda. Je pouvais aller me faire les ongles, prendre des cafés entre copines, faire différentes activités… Je suis très heureuse d’avoir fondé une famille et d’avoir un mari qui m’aime même sans ongles vernis ni sourcils épilés, il n’empêche que je me retrouve souvent à renoncer à aller chez le coiffeur ou à mon cours de yoga. Je me dis que je n’ai pas le temps ou pas l’argent. Et une petite voix dans ma tête me susurre : « Ce serait égoïste ».
Je privilégie les cours de natation pour mon bébé et du coup je ne vais jamais à la gym. Je stresse toute la famille pour la messe le dimanche matin mais je prends rarement un moment pour prier seule. Les tenues de Noël de mes enfants sont déjà prêtes mais moi je vais encore mettre mes vieilles chaussures au talon cassé.
Il y a quelque chose qui cloche un peu…
Comment être les mères que nous voulons être
Plus j’y pense, plus je me dis que prendre soin de moi, c’est prendre soin de ma famille. Cependant, comme beaucoup de mères, j’ai tendance à me mettre spontanément en bout de file. Ce genre de comportement sacrificiel semble aller dans le sens de ce qu’implique la parentalité, mais ce n’est pas vraiment nécessaire et parfois même néfaste pour notre santé. « J’ai souvent des patientes qui me disent emmener leurs enfants faire contrôler leurs yeux tous les ans mais ne pas y être allées elles-mêmes depuis une dizaine d’années », explique le Dr. Amy Ung, ophtalmologue. « Ce qu’elles ont tendance à oublier, c’est que leur vue est tout aussi importante que celle de leurs enfants. »
Dans un registre moins capital que celui de la santé, la maternité peut aussi avoir une incidence sur l’attention que nous portons à notre apparence extérieure.
Jennifer Mackey-Mary s’occupe de relooker des femmes dont le corps et l’emploi du temps ont changé depuis qu’elles sont mères. Bien que son métier consiste à constituer des garde-robes et à aider les femmes à s’habiller, elle affirme que « ce ne sont pas tant les vêtements qui comptent que la vie que nous menons dans ces vêtements. Il est vrai que quand nous n’aimons pas notre apparence, c’est plus difficile de vivre pleinement ». Elle poursuit : « Quand je vois une femme se regarder dans le miroir et aimer le reflet qu’elle renvoie (parfois pour la première fois depuis longtemps), c’est vraiment génial. Je crois fermement que notre corps est un cadeau de Dieu et que le fait de l’apprécier en dehors des critères de formes ou de tailles est une manière d’honorer le Seigneur. »
Parfois, je n’ai même pas le temps de me regarder dans le miroir. Mais d’autres fois, honnêtement, je préfère éviter de regarder mon reflet car j’ai peur de ce que je vais voir : le visage tourmenté et pas maquillé d’une maman épuisée, à bout de nerfs et mal fagotée. Je ne ressemble pas à la mère qu’il faudrait que je sois. Je ne me sens pas comme la mère qu’il faudrait que je sois.
Voyant cela, mon curé de paroisse m’a rappelé un vieil adage : « On ne peut donner que ce que l’on a. » Voilà ce qu’il conseille aux mères : « La question générale que devraient se poser les jeunes mamans, tout le monde en fait, est : est-ce que le fait de blinder ma vie au maximum me permet de me donner mieux aux autres ? Ce dont les enfants ont besoin, ce dont nos êtres chers ont besoin, ce dont nos proches ont besoin, c’est de la meilleure version de nous-même, pleinement vivante par la présence de Dieu. Si nous voulons transmettre amour inconditionnel, patience, générosité, gentillesse ainsi que les autres dons de l’Esprit, il faut d’abord que nous les recevions nous-mêmes à la source. En d’autres termes, est-ce qu’on carbure à vide ou à l’Esprit saint ? »
Comme beaucoup d’autres parents, j’ai souvent l’impression de carburer à vide. C’est bien facile de s’enfermer dans le schéma de la mère sacrificielle et d’oublier ses devoirs et obligations envers soi-même, que ce soit sur le plan spirituel ou physiologique. Il y a pire encore : considérer que s’accorder du temps et de l’énergie est une folie et croire que cela empiète sur l’attention qu’on porte aux autres. Or il est impossible de bien s’occuper des autres si l’on ne s’occupe pas de soi.
Dans le livre de la Sagesse, au chapitre 11, verset 24, il est écrit que « Dieu aime tout ce qui existe [et qu’Il n’a] de répulsion envers aucune de ses œuvres ». Je ne pense pas être la seule à oublier parfois que je suis, moi aussi, une création divine et qu’il est de mon devoir de prendre soin de Sa création. Il faut que je me regarde avec amour, de même que je regarde mes enfants avec amour, de même que Dieu nous regarde avec amour.
J’ai fini par aller chez le dentiste hier au lieu d’attendre mon rendez-vous annuel. Il s’avère que ce que je considérais comme une hypersensibilité à une dent est en fait un problème bien plus important et qu’il va me falloir une couronne. Je vais donc passer une heure douloureuse et tout sauf glamour dans un cabinet de dentiste plutôt qu’au yoga ou dans un salon de beauté, mais au moins cette heure me sera consacrée. Et c’est un sentiment agréable.
Et puis je vais sûrement réciter le chapelet pour me changer les idées, car comme toutes les mères de famille, je suis assez douée pour faire plusieurs choses à la fois.