“Votre lettre m’a mis en extase, l’espace de sa lecture.”Cher Père Éternel,
Votre lettre m’a mis en extase, l’espace de sa lecture. Il est si exaltant de se savoir aimé, personnellement, par un « Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre ». Je n’arrive pas à croire que vous m’aimez « de la même façon que vous aimez votre fils Jésus » (Jean 17, 23), que vous « m’aviez choisi depuis que vous planifiez la Création » (Éphésiens 1,11-12) que « vous me connaissiez avant même que je sois conçu » (Jérémie 1, 4-5). C’est si merveilleux que je n’en reviens pas ! D’ailleurs à le croire vraiment, sans l’ombre d’un doute, à le vivre vraiment, on devrait être dans un état d’allégresse, de béatitude continue…
Mais pourquoi ne le suis-je pas, Seigneur ? Est-ce parce que – et en dépit de ce qu’on m’assure – cette lettre est faite et transmise par la main des hommes ? Est-ce parce que je n’expérimente pas votre amour, de façon concrète, directe, dans ma vie ? Est-ce parce que je ne sens pas concrètement votre présence ? Votre soutien durant mes difficultés et mes épreuves, et ce malgré mes prières instantes et mes invocations ? Est-ce en réaction à votre « passivité » devant les malheurs du monde ? À votre non-intervention contre le Mal qui sévit impunément sur cette terre, à votre non-assistance à personne – voire à population- en danger ?
Est-ce en raison de ces inégalités et injustices qui blessent ma vue depuis que j’ai ouvert les yeux pour voir, partout, la dualité et la disparité sur tous les plans : physique, mental, social ? La santé et la maladie, la normalité et l’anomalie, la beauté et la laideur, la richesse et la pauvreté ? Est-ce l’effet de mon dégoût d’être né dans un monde plus violent que pacifique ? Plus régi par l’égoïsme et la haine, que par l’altruisme et l’amour ? Est-ce pour avoir découvert, très tôt, une histoire humaine sanglante, jonchée de guerres, de massacres, de catastrophes, de cataclysmes ? Pour s’être retrouvé dans une jungle où « l’homme est un loup pour l’homme » ? Dans les rets d’un monde malade de lui-même, ou de ceux qui le gouvernent ?
Ne prenez pas, Père, mes interrogations pour un reproche, mais pour, justement, ce qu’elles sont : des interrogations, – et légitimes. Je n’interrogerai pas votre « logique doloriste » qui fait que notre rédemption soit tributaire de la souffrance, de la douleur, des malheurs… Qui suis-je pour le faire ? Vous avez votre Raison que notre infime raison ne peut sonder. Peut-être le saurons-nous un jour, dans votre Royaume, pour ceux d’entre nous qui y seront admis.
Pardonnez-moi, Père, mes interrogations, et merci de m’avoir permis de les formuler. Merci de les recevoir favorablement, dans la Miséricorde qui vous caractérise, qui vous appartient et que vous dispensez, en toute libéralité, à ceux qui le méritent ou pas.
Peut-être faut-il qu’il en soit ainsi, comme il en fut ainsi avec votre propre Fils, supplicié par nous et pour nous, pour nous tous, pour la rémission de nos innombrables et innommables péchés. Peut-être êtes-vous, en quelque sorte, volontairement « prisonnier » (pardonnez-moi le terme) de votre propre Principe, ainsi que de notre liberté, de notre libre choix, de notre libre-arbitre, comme pour nous donner la possibilité, le mérite, de choisir notre voie, d’agir favorablement sur notre destin, de le façonner nous-mêmes, à titre individuel et collectif, au lieu d’être prédestinés par Vous (comme certains le croient).
Pour ainsi gagner notre Salut par notre propre mérite. Peut-être les souffrants, les défavorisés, les désavantagés (malades, retardés, infirmes, pauvres, victimes de toutes sortes…), ces « derniers » seront-ils vraiment les premiers, comme il est écrit, et pour les siècles des siècles ! Peut-être feront-ils vraiment des envieux parmi les premiers ici-bas, qui tomberont dans le classement, là-haut. Peut-être seront-ils vraiment plus « heureux », ces derniers de notre monde : les pauvres en esprit, les doux, les affligés… selon vos Béatitudes. Peut-être êtes-vous plus pressé d’accueillir les uns, pour les rappeler avant les autres. Peut-être les laissés-pour-compte sont-ils les vrais privilégiés à long terme.
Car en effet qu’est-ce que la vie ici-bas, cette étincelle de vicissitudes, en comparaison avec la Vie éternelle, dans sa Plénitude, dans sa Félicité, ad vitam aeternam, pour ceux qui auront su passer les épreuves temporelles (et temporaires) avec patience et succès, selon vos sages commandements, et qui auront su miser sur Vous, envers et contre tout, croire en Vous et en votre Fils – passage obligé – Lui le Chemin, la Vérité et la Vie. Qui d’entre nous se souviendra de cette « étincelle de malheurs », perdue dans l’Éternité du Bonheur ?
J’entrevois mieux maintenant, Père, votre « Dessein », si j’ose le prétendre. Mon entendement, si limité, s’ouvre un degré de plus à votre Insondabilité. Je comprends mieux ce que vous voulez dire par « un jour j’effacerai toutes les larmes de tes yeux » et « j’ôterai toute la souffrance que tu as connue sur cette terre » (Apocalypse 21, 3-4). Je le comprends mieux, dans ma conception humaine, du fait qu’on goûte mieux au plaisir après un déplaisir, qu’on ne peut goûter au délice de la consolation – votre Consolation – dispensée par le Consolateur, qu’après avoir connu la peine.
Un jour, nous nous rendrons compte que c’est la souffrance temporelle, stoïquement assumée, qui nous aura conduit à la jouissance ineffable, immuable, éternelle, d’être au sein de votre Paternité, en compagnie de votre Fils, notre Frère, et de notre Mère la Vierge Marie, des anges, de tous les saints, et de tous les êtres chers. Ceci outre le caractère bénéfique, la vertu formatrice des épreuves sur terre.
Un jour nous découvrirons l’immensité de la Récompense céleste, au regard de notre fugitive endurance terrestre. Nous recevrons une donation à la mesure de nos propres donations sur terre, de nos sacrifices, de nos dévouements, de notre foi, de notre espérance, de notre amour, de nos actions charitables.
Père Éternel, voici que je me surprends, après des points d’interrogation et des incertitudes marquées de « peut-être », de conclure d’une manière affirmative. Comme si vous m’aviez guidé, de ligne en ligne, pour en arriver à cette certitude.
Je ressens plus votre Présence, maintenant, qui n’a pas besoin d’être palpée avec les mains, mais avec le cœur ; qui n’a pas besoin d’être pensée, mais ressentie. Je saisis mieux votre Proximité, votre Miséricorde et votre Amour lorsque je relis : « Je ne suis ni distant, ni fâché, car je suis l’expression parfaite de l’amour » (1Jean 4, 16).
Je vous remercie, Seigneur, de vous laisser trouver par ceux qui vous cherchent de tout leur cœur (« Si tu me cherches de tout ton cœur, tu me trouveras » Deutéronome 4, 29).
Je m’extasie d’autant plus de votre Lettre d’amour que je la reçois, je la comprends et je l’éprouve, maintenant, beaucoup mieux, de sorte à vous aimer en retour « de tout mon cœur, de toute mon âme et de toute ma pensée » (Matthieu 22, 37).
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